Fièvre sociale : données brutes

Dans le contexte des mobilisations sociales actuelles, 83 % des professions intermédiaires interrogées estiment que les mesures annoncées par le gouvernement […]

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La publication du sondage réalisé par Viavoice pour le baromètre annuel de l’Ugict, construit en partenariat avec Sécafi sur la situation et les aspirations des professions techniciennes et intermédiaires, éclaire les tensions à l’œuvre au sein des catégories qualifiées dans le monde du travail.

Dans le contexte des mobilisations sociales actuelles, 83 % des professions intermédiaires interrogées estiment que les mesures annoncées par le gouvernement ne vont pas améliorer le pouvoir d’achat. Ce chiffre atteint 94 % dans la fonction publique ; 53 % s’inquiètent de leur propre déclassement et 55 % de celui de leurs enfants. Seuls 36 % des techniciens et professions intermédiaires sondés estiment être reconnus dans leur travail. De la même manière, 67 % des techniciens et professions intermédiaires considèrent que leur rémunération est en décalage avec leur implication. Ce chiffre est supérieur à ceux des années précédentes, singulièrement au sein de la fonction publique, où l’austérité salariale est dénoncée par 79 % des fonctionnaires de catégorie B.

Un temps de travail qui explose

Près de 58 % des techniciens et professions intermédiaires estiment que leur charge de travail a augmenté ; 62 % déclarent travailler plus de quarante heures hebdomadaires et 24 % plus de quarante-cinq heures par semaine. Environ 54 % effectuent des heures supplémentaires, et elles ne sont ni payées ni récupérées pour 34 % des salariés concernés. On assiste donc à une augmentation du travail au noir, avec des heures de travail ni déclarées ni reconnues. Ce phénomène est genré : les femmes optent à 40,1 % pour la récupération du temps (contre 29,4 % chez les hommes) et à 24,7 % pour son paiement (contre 38,8 % chez les hommes), tendance qui s’enracine dans la réalité de la double journée de travail pour les femmes.

Des charges alourdies

L’augmentation de la charge de travail est une réalité pour 58 % des sondés, quels que soient leur secteur professionnel et la taille de leur entreprise. On note cependant une différence entre la fonction publique et le secteur privé (60,2 % contre 56,1 %), avec une augmentation plus importante dans la fonction publique. Seuls 5 % des sondés estiment que leur charge de travail a baissé, et 37 % qu’elle est restée stable.

Un management « empêcheur » de bien travailler

Près de 44 % des techniciens et professions intermédiaires considèrent ne pas pouvoir effectuer un travail de qualité. Ce vécu est majoritaire dans le public, avec 50 % de fonctionnaires en catégorie B.

Des pratiques managériales détériorées

Pour 48 % des sondés, les pratiques managériales se sont dégradées au cours de l’année, et 14 % seulement entrevoient une amélioration, contre 38 % qui ne voient pas de changement. Cette détérioration est plus sensible dans la fonction publique (62,9 %) que dans le secteur privé (40,8 %) et elle augmente par rapport à 2018 (+ 7 %).

Dans ce cadre, l’évaluation individuelle est très critiquée : 67 % des sondés la jugent fondée sur de mauvais critères et 68 % estiment que les choix et pratiques entrent souvent en contradiction avec leur éthique professionnelle. C’est à l’approche de la 2e partie de carrière (40 ans) que le ressentiment est le plus fort sur les critères d’évaluation (plus de 73 %), signe que le système de gestion des personnels de ces catégories peine à valoriser l’expérience professionnelle et les qualifications acquises.

Des annonces inadaptées sur le pouvoir d’achat

Colère salariale et peur du déclassement découlent de ces éléments. À 83 %, les professions intermédiaires estiment que les mesures annoncées par le gouvernement ne vont pas améliorer leur pouvoir d’achat. Ce chiffre monte à 94 % dans la fonction publique, du fait de l’augmentation de la Csg et du gel du point d’indice. Près de 53 % sont ainsi inquiets de leur propre déclassement et 55 % de celui de leurs enfants.

Un manque criant de reconnaissance

Cette crainte du déclassement s’adosse à un puissant ressenti de dévalorisation. Plus d’une personne sur deux (51 %) estime qu’elle n’est pas reconnue dans son travail et le sentiment inverse – « être reconnu dans son travail » – stagne à 36 %. La situation est encore plus dégradée dans la fonction publique (24,1 %) que dans le secteur privé (41,3 %). Pourtant, le niveau d’implication dans le travail et la hausse des charges de travail conduisent 54 % des sondés à effectuer des heures supplémentaires, mais sans que cela entraîne une meilleure reconnaissance des qualifications ou une revalorisation salariale.

Un fort mécontentement salarial

Plusieurs déterminants de la vie au travail, singulièrement au regard de la reconnaissance professionnelle, témoignent d’une forte insatisfaction :

  • Sur le niveau de rémunération : jugé insuffisant au regard du temps de travail réel (55 %), des responsabilités exercées (60 %) et de la qualification détenue (56 %). Cela atteint des sommets concernant la charge de travail (65 %) et le degré d’implication (67 %).
  • Sur la reconnaissance professionnelle : 71,6 % des salariés de la fonction publique et 54 % dans le privé considèrent que leur niveau de rémunération n’est pas en adéquation avec leur niveau de responsabilité.
  • Sur le niveau de qualification : là encore, un écart important est ressenti par 70,5 % des sondés dans la fonction publique et 48,6 % dans le secteur privé.

Lorsque la reconnaissance intervient, elle se manifeste le plus souvent sous forme de reconnaissance sociale (68 %). Viennent ensuite l’évolution professionnelle (34 %), puis le salaire (33 %). La reconnaissance sociale, qui est la forme la plus utilisée, l’est surtout pour les femmes par rapport aux hommes (67,4 % contre 68,2 %).

Débordement de la vie professionnelle sur la vie privée

Dans ces conditions la vie professionnelle déborde sur la vie privée d’un sondé sur deux, et 64 % des professions techniciennes et intermédiaires souhaitent disposer d’un droit à la déconnexion effectif. Corrélativement, un sur deux estime que l’usage des nouvelles technologies offre davantage de facilité dans le travail, ce sentiment étant légèrement plus prononcé chez les femmes (47,8 %) que chez les hommes (38 %).

L’urgence du droit à la déconnexion

Dans ce contexte, l’usage actuel des outils de communication participe à l’intensification du travail pour 54 % des professions techniciennes et intermédiaires. Cette réalité est sensiblement plus forte dans la fonction publique (54 %) que dans le secteur privé (53,1 %).

Des conflits entre éthique et pratique

L’éthique professionnelle entre en contradiction avec les choix et pratiques réels dans 68 % des cas, que ce soit souvent (19 %) ou de temps en temps (49 %). Le mal-être qui en découle, conjugué à l’exposition à d’autres facteurs défavorables dans l’exercice de sa profession, comme la surcharge de travail, le manque de reconnaissance ou de soutien, peuvent conduire à une perte de repères et à une situation d’épuisement.

Pour un droit d’alerte, de refus et d’alternative

Cela explique que 57 % des professions techniciennes et intermédiaires souhaitent disposer d’un droit d’alerte dans le cadre de leurs responsabilités, afin de pouvoir refuser de mettre en œuvre des directives contraires à leur éthique. Cette aspiration est largement majoritaire dans la fonction publique (60,3 %) et dans le secteur privé (54,7 %).

Compter d’abord sur soi-même

Comment défendre droits et emploi ? Les professions techniciennes et intermédiaires priorisent une approche individuelle, à hauteur de 53 %. Les syndicats arrivent en seconde position (25 %), devant les avocats (11 %), la direction (7 %), les pouvoirs publics (3 %) et les partis politiques (1 %). L’analyse par taille d’entreprise atteste que le défaut d’implantation syndicale favorise naturellement l’approche individuelle. Ainsi, dans les petites entreprises de moins de 50 salariés les techniciens et professions intermédiaires déclarent d’abord compter sur eux-mêmes (64,1 %), les syndicats venant en deuxième position (12,2 %). Ils placent les directions et les avocats quasiment au même niveau (respectivement 8,6 % et 9,7 %) pour se défendre.

On retrouve ce déterminant de la présence syndicale en comparant les résultats entre la fonction publique et le secteur privé, dans la confiance accordée aux syndicats pour défendre les droits et l’emploi. Dans la fonction publique où les syndicats sont plus présents, ils arrivent malgré tout (à 36,8 %) après l’approche individuelle (44,3 %).

Louis Sallay