Industries électroniques : un plan européen insuffisant pour sortir de la dépendance à l’Asie

Avec le déblocage de 42 milliards d’euros pour la filière électronique, l’effort européen est réel. Mais, dans un secteur très capitalistique, il reste en deçà des besoins pour rattraper le retard accumulé depuis les années 2000.

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L’Europe ne produit plus que 10 % des puces dans le monde. © IP3 PRESS/MAXPPP
Avec le déblocage de 42 milliards d’euros pour la filière électronique, l’effort européen est réel. Mais, dans un secteur très capitalistique, il reste en deçà des besoins pour rattraper le retard accumulé depuis les années 2000.

Dans le centre de la Chine, la ville de Xi’an (13 millions d’habitants) n’est pas seulement célèbre pour son armée de terre cuite ou sa « stratégie zéro Covid jusqu’à l’épuisement » (Le Monde). Elle est aussi le lieu qui concentre 15 % de la production mondiale de puces mémoire, qui aujourd’hui tourne au ralenti. Dans un contexte de pénurie mondiale de semi-conducteurs, apparue dès la sortie du premier confinement, le journal alerte sur une possible aggravation des tensions, particulièrement pénalisantes pour l’industrie automobile. La pandémie, avec les mesures de restrictions plus ou moins sévères qu’elle continue d’imposer, n’est pas seule en cause. Avec les intempéries qui ont frappé le Texas ou l’état de sécheresse à Taïwan, le climat y a également sa part. 

Schématiquement, la filière électronique se décompose en deux grands secteurs : la conception et la production des semi-conducteurs (Soitec, STMicroelectonics…) ; l’assemblage et la sous-traitance, où les puces vont être testées et encapsulées. « L’ensemble de la filière, qui pourrait être davantage intégrée, est en difficulté. Mais chaque secteur a ses problèmes spécifiques », indique Fabrice Lallement, délégué syndical Cgt de Soitec (voir encadré) et représentant de la Cgt au comité stratégique de filière (Csf) des industries électroniques. Le premier de ces deux secteurs, le plus capitalistique, impose des investissements compris entre 10 et 15 milliards de dollars pour une usine. Aujourd’hui, la moitié des puces sont faites à Taïwan, qui, avec la Corée du Sud, consacre à ses usines plusieurs dizaines de milliards de dollars tous les ans.

Doubler la capacité européenne de production de puces d’ici à 2030

C’est dans ce contexte qu’il faut resituer le plan annoncé le 8 février dernier par la Commission européenne pour relancer la filière. Avec le déblocage de 42 milliards d’euros, l’effort financier est réel. Mais, au regard des enjeux, il reste insuffisant pour rattraper le retard et sortir de la dépendance à l’Asie. Le basculement s’est opéré au début des années 2000 quand un nouveau modèle économique s’est imposé : le fabless, c’est-à-dire des entreprises qui ne produisent plus du tout, et le fablite, des entreprises qui produisent très peu. Si bien que l’Europe ne fournit plus aujourd’hui que 10 % des puces dans le monde.

Avec ce plan, l’objectif est de doubler la capacité européenne de production de puces pour atteindre 20 % du marché mondial en 2030. Cela ne peut passer que par des coopérations européennes, le périmètre le plus adapté au redressement de la filière, dont le retard est aussi technologique, la taille de certaines pièces, comme les transistors, étant divisée par deux tous les trois ans. C’est ce qu’explique Fabrice Lallement : « On parle désormais de quelques nanomètres… Et on a pris dix ans de retard sur les dernières générations. Celui-ci ne va pas être comblé par un claquement de doigts, mais grâce à des coopérations, avec des entreprises comme Samsung ou Intel par exemple. À la Cgt, on demande le rattrapage de ce retard, mais aussi le soutien à une technologie alternative [le Fd-Soi], qui pourrait répondre à des besoins importants, notamment dans l’automobile. »

Stopper la fuite en avant des délocalisations en partant des besoins des industries

Le second pan de la filière (assemblage et sous-traitance)souffre pour sa part d’une stratégie de délocalisation, en particulier de ce que l’on appelle le « back-end » (Be, encapsulation et test), vers l’Asie. Quand la Malaisie, qui réalise un tiers du «Be » mondial, a été en confinement et fermé ses usines, l’impact a été considérable sur le secteur automobile français, avec des arrêts de lignes de production. Parce que les sommes en jeu sont moins importantes que pour la filière en amont, il est ainsi « gérable » d’imaginer une relocalisation de la sous-traitance, même au niveau hexagonal. L’industrie automobile n’est pas la seule concernée. Dans une lettre ouverte adressée notamment au Premier ministre, la Cgt, par la voix de ses quatre représentants aux Csf concernés (électronique, technologies de santé, industries de sécurité, automobile), propose « d’ouvrir une réflexion […] en partant des besoins des industries aval (médical, automobile,défense…) […] afin de déterminer quelles productions devraient être (re)localisées en France afin d’assurer la pérennité des activités industrielles françaises ». Fabrice Lallement insiste : la filière électronique est bien une filière transverse qui intéresse et impacte de multiples secteurs, pose des questions cruciales de souveraineté en matière de sécurisation et de protection des données, intéresse tous les équipements de robotisation et d’automatisation, en provenance aujourd’hui d’Allemagne, du Japon ou des États-Unis. En bout de chaîne, elle est donc, expose-t-il, « cruciale s’agissant de tous les équipements nécessaires pour la réindustrialisation ».

Métallurgie : alerte sur l’attractivité des métiers

Soitec (1 400 salariés), qui fabrique des plaquettes de silicium pour les supports des puces, se situe en tout début de la filière. L’année 2015 est marquée par une diversification ratée dans le solaire avec 800 millions d’euros de pertes. C’est en se recentrant sur son cœur de production que l’entreprise s’est relevée, une croissance portée aujourd’hui par l’essor du numérique, avec un chiffre d’affaires en forte augmentation(+ 50 % en un an). Résultat, les embauches sont au plus haut :plusieurs centaines de salariés par an, à tous les niveaux de qualification. Mais que les entreprises du secteur ont les plus grandes difficultés à recruter. « À la Cgt, nous essayons de travailler à la mise en place d’une école de formation de techniciens, sur des bases publiques », indique Fabrice Lallement, délégué syndical de Soitec. Tout en s’inquiétant de l’impact de la prochaine convention collective nationale de la métallurgie : « Avec une reconnaissance de la qualification centrée sur le poste, et non sur l’individu, c’est une catastrophe en termes d’attractivité », alerte-t-il.

Christine Labbe