À Pôle emploi, les agents veulent retrouver le sens de leur travail

Mobilisés début février à l’appel de tous les syndicats de l’organisme pour réclamer une augmentation des salaires, les personnels sont aussi dans un conflit éthique, nourri par la réforme de l’assurance chômage.

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Le 1er février dernier, 25% des agents de Pôle emploi étaient en grève. ©Remi OCHLIK/IP3/MAxPPP
Mobilisés début février à l’appel de tous les syndicats pour réclamer une augmentation des salaires, les personnels sont aussi dans un conflit éthique, nourri par la réforme de l’assurance chômage.

Mardi 1er février, sur le parvis du siège de Pôle emploi, à Paris, les drapeaux syndicaux déployés à l’appel de dix syndicats (1) témoignent d’une intersyndicale historique : « Du jamais-vu », selon Sylvie Espagnolle, déléguée syndicale centrale Cgt. Les agents de Pôle emploi étaient massivement présents puisque 25 % d’entre eux ont répondu à l’appel, dans un secteur où il est difficile de mobiliser, explique la représentante Cgt. La colère, en effet, couve depuis plusieurs mois déjà, autour de revendications multiples : les salaires, les conditions de travail mais aussi la perte du sens du travail. Le salaire d’abord : il est la première des revendications pour les agents de Pôle emploi dans un contexte où les revalorisations salariales sont jugées insuffisantes au vu de l’inflation (3 % selon l’Insee). Mais, à Pôle emploi, nulle trace d’augmentation des salaires depuis 2017. Alors la revalorisation de 1 % « obtenue grâce au préavis de grève » ne suffit pas. D’autant que, pour la majorité des agents, la perte de pouvoir d’achat est estimée à 10 % depuis la fusion entre l’Anpe (Agence nationale pour l’emploi)  et l’Assédic.

Des usagers mal traités et des personnels en souffrance

À cela s’ajoute la dégradation des conditions de travail. Depuis plusieurs années, Pôle emploi fait en effet massivement appel à des Cdd. En 2020, sur 57 611 agents, on dénombrait 6 488 Cdd. Actuellement, 80 % des recrutements se font avec ce type de contrat, qui sont autant de personnels à former. Le nombre de conseillers « indemnisation », par exemple, diminue au fil des années, car les recrutements en Cdd ne permettent pas une formation sur cette mission, complexe, qui nécessite trois années d’expérience, explique Karine Le Pennuisic, représentante Cgt de proximité de Pôle emploi en Normandie. Les personnels indemnisation diminuent donc et plus personne à l’accueil ne peut répondre aux questions consacrées à ce sujet, qui sont pourtant celles qui sont le plus souvent posées. Ce sont les conseillers « placement » (agents qui accompagnent les demandeurs d’emploi dans leurs recherches) qui comblent cette carence à l’accueil sans pouvoir répondre à toutes les questions des usagers, les renvoyant à une plateforme téléphonique. « Les usagers sont mal traités et cela met en porte-à-faux le personnel », dénonce Karine Le Pennuisic. 

Le conflit est aussi éthique, avec la réforme de l’assurance chômage qui a modifié le mode de calcul de l’allocation et la période à prendre en compte pour l’indemnisation. Le problème de cette réforme, c’est que les agents ne comprennent pas son objectif. « Eux, son injustice, ils la voient et ils la prennent de plein fouet », souligne Karine Le Pennuisic. Et sont en première ligne face aux usagers : « Il y a du désespoir, de la colère, et on est le réceptacle de ce désespoir. Les usagers dans leur majorité savent bien que ce n’est pas les agents Pôle emploi qui en sont responsables, mais c’est nous qui devons leur faire face », explique Sylvie Espagnolle, pour qui « la réforme de l’assurance chômage fait du dégât ». Avec elle, le gouvernement a accentué la pression sur les demandeurs d’emploi en annonçant un renforcement des contrôles pour vérifier qu’ils sont bien en situation de recherche active. Élisabeth Borne, la ministre du Travail, a annoncé en novembre dernier 250 000 contrôles, soit une hausse de 25 % par rapport à 2019. 

Mais ce surplus de travail, la direction de Pôle emploi a choisi de le faire supporter par ses agents. Ils sont 600 mobilisés sur cette mission. Mais pas question, pour Sylvie Espagnolle, de demander un renforcement de ce service : « On demande leur dissolution ! », s’exclame-t-elle en rappelant que, pour la Cgt, la mission de Pôle emploi est surtout d’accompagner les demandeurs d’emploi et non de les contrôler. 

Plus de précarité pour les demandeurs d’emploi… et les agents

En réalité, cette réforme a totalement fait perdre le sens du travail des agents qui venaient de l’Anpe et de l’Assédic avec une mission de service public et une volonté, justement, d’accompagner les demandeurs d’emploi. Les différents plans gouvernementaux (plan « 1 jeune 1 solution », plan pour les chômeurs de longue durée…) se sont empilés et ont donné aux conseillers une charge de travail considérable jusqu’à les empêcher de suivre correctement les chômeurs. Chaque conseiller aurait environ 1 500 demandeurs d’emploi à suivre actuellement, avance Pierre Garnodier, secrétaire général du Comité national des travailleurs privés d’emploi et précaires. Pour Karine Le Pennuisic, cette réforme est un tremplin vers la précarité. Elle va en effet inciter les demandeurs d’emploi à accepter des offres mal payées, à temps partiel et de courte durée face à un taux d’indemnisation chômage trop faible et, à leur retour sur le marché du travail, ce taux sera encore plus faible…

Cette précarité que craignent les agents de Pôle emploi, certains agents sont eux-mêmes tombés dedans. « Beaucoup de collègues perçoivent la prime d’activité car c’est un personnel féminin, il y a beaucoup de temps partiel. Quand vous avez un salaire de 1 400 euros avec dix ans d’ancienneté et que vous habitez en région parisienne, il y a de la désespérance. Face à cela, alerte la représentante de proximité de Pôle emploi de Normandie, toujours plus d’exigences de la part de la direction sur les chiffres, plus de pression et pas beaucoup d’espoirs d’évolution de carrière font qu’il y a une grogne généralisée. » C’est dire si, en plus de la nécessaire revalorisation salariale, l’attente de propositions à la hauteur est forte pour réussir à mener à bien les missions auprès des demandeurs d’emploi.

Arthur Brondy

1. Cfdt, Cfe-Cgc, Cftc, Cgt, Fo, Snap (Syndicat national du personnel de Pôle emploi), Snu-Fsu, STC, Sud, Unsa.