à€ travail « de valeur égale  », les métiers à  dominante féminine toujours dépréciés

La Cgt poursuit sa campagne pour la revalorisation des métiers du soin et du lien, déclassés car féminins… et vice versa. Les postes manquent, pas les revendications.

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Des compétences théoriques, techniques et relationnelles complexes… mais non reconnues. ©PHOTOPQR/NICE MATIN/Jean-François Ottonello
La Cgt poursuit sa campagne pour la revalorisation des métiers du soin et du lien, déclassés car féminins… et vice versa. Les postes manquent, pas les revendications.

Non, les femmes ne naissent pas avec des dons particuliers en matière d’empathie, de patience, d’écoute ou d’abnégation, qui les désigneraient tout naturellement pour exercer des métiers dédiés au soin, à  l’accompagnement, au lien social… Ces préjugés servent pourtant un non-dit selon lequel ces métiers n’en seraient pas vraiment, puisqu’ils n’exigeraient l’acquisition d’aucune qualification complexe. L’ignorance du travail réel et de l’engagement indispensable à  leur exercice contribue ainsi à  faire perdurer leur absence de reconnaissance sociale et financière. Et maintient dans l’ombre des professions, même après deux ans de pandémie o๠elles ont montré l’urgence de mieux les reconnaître et de les développer pour répondre aux besoins sociaux. Ce n’est pas l’extension tardive (mi-février) du Complément de traitement indiciaire de 183 euros mensuels (la prime accordée aux soignants) aux travailleurs des secteurs sanitaire et social qui changera la donne.

« Mon travail le vaut bien  » : le questionnaire toujours en ligne

Rappeler ces évidences, redonner de la dignité à  ces métiers et impulser des dynamiques revendicatives  : c’est avec ces objectifs qu’en mars 2021, la Cgt a entrepris de relayer la campagne de la Confédération syndicale internationale (Csi). La sociologie documente depuis longtemps le fait que les professions à  prédominance féminine sont moins reconnues, et qu’il existe même un lien structurel entre la féminisation et le déclassement de certaines d’entre elles. La Cgt a associé des universitaires à  sa démarche, dans le cadre d’une étude pilotée par l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) pour examiner de plus près le contenu du travail réel de 14 métiers du «  soin et du lien   » et les ressentis des concernées, et identifier l’ensemble des compétences non reconnues dans leur exercice.

à€ ce jour, 90 % des 6 000 répondantes au questionnaire proposé sont des femmes. Les métiers choisis sont tous au moins aux trois quarts féminins (infirmière, professeure des écoles, éducatrice spécialisée) sinon plus  : accompagnante des élèves en situation de handicap (Aesh ou Avs), aide-soignante, agente d’entretien ou des services hospitaliers, agente territoriale des écoles maternelles (Atsem), aide à  domicile ou auxiliaire de vie, assistante familiale, assistante maternelle, assistante des services sociaux, auxiliaire de puériculture, éducatrice de jeunes enfants, sage-femme. Pour rappel, seulement 18 % des métiers sont considérés comme réellement mixtes…

L’étude sera finalisée fin 2023, mais un bilan des premières réponses au questionnaire a fait l’objet d’un webinaire du collectif Femmes-mixité de la Cgt début février. Parmi les enseignements, 16 % seulement des répondantes considèrent qu’elles ont les moyens de faire leur travail correctement, 96 % que leur métier est difficile sur le plan émotionnel, 73 % évoquent une dégradation de leur santé.   « Dans leur énorme majorité, elles déclarent que leur métier est épuisant et peu valorisant, mais qu’elles en sont fières, souligne Rachel Silvera, maîtresse de conférence à  l’université Paris-Nanterre. Elles sont également conscientes d’exercer des compétences théoriques, techniques et relationnelles complexes pourtant non reconnues, de travailler en autonomie et en responsabilité, et d’être prises au piège en travaillant plus pour essayer de faire bien leur travail malgré le manque de moyens. Ce qui ne les empêche pas toujours de se sentir maltraitantes ou de risquer le burn-out.   » Notamment en n’ayant pas d’autre choix qu’outrepasser leurs fonctions, à  l’instar des aides-soignantes qui font parfois un travail d’infirmières ou des agentes des services hospitaliers qui font celui des aides-soignantes, sans être formées, ni reconnues, ni payées comme telles.

Supprimer les obstacles à  la progression des femmes dans le monde du travail

Les sages-femmes constatent quant à  elles qu’à  niveau de diplôme équivalent à  un ingénieur hospitalier (bac+5), elles sont moins bien payées et ne disposent en rien des mêmes perspectives de déroulement de carrière. « L’écart moyen de salaire pour un “travail identique” reste de 26 %, explique Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict et animatrice du collectif confédéral Femmes-mixité. La loi sur l’égalité professionnelle fête pourtant ses 50 ans cette année  ! Elle a été complétée par la loi Roudy de 1983, qui vise à  rémunérer au même niveau un travail de “valeur égale”, déterminé par quatre critères  : le diplôme, l’expérience acquise, le niveau de responsabilités et la charge physique et nerveuse. De ce point de vue encore plus, tout reste à  faire !   »

Sans surprise, la revendication prioritaire exprimée dans les réponses au questionnaire est salariale, faute de quoi ces métiers pourraient faire l’objet d’une désaffection massive, qui se ressent déjà  notamment dans le secteur sanitaire et social. Mais le besoin d’embauches pour mieux travailler la suit de très près. Les économistes François-Xavier Devetter et Julie Valentin, associés à  l’étude, dressent le même diagnostic après un examen des inégalités territoriales en matière d’accès aux services à  la personne et aux soins. Il faudrait créer 300 000  emplois – et donc les rendre attractifs – juste pour résorber les inégalités les plus criantes, en créer 1 million pour un service de qualité et 1,7  million pour être à  un niveau d’encadrement et de service à  la population équivalent à  celui de la Suède !

Les femmes sont également entravées dans leurs carrières par le travail à  temps partiel, par des horaires atypiques, et bien sà»r par le «  plafond de mère   », qui présuppose que leur éventuelle maternité ne les rendra pas aussi disponible qu’un homme. «  On constate également que quand un service public est défaillant, les femmes sont obligées de le compenser sur leur temps libre ou en étant empêchées de travailler   », rappelle Sophie Binet  : 40 % des moins de 3 ans n’ont pas de solution d’accueil, de nombreuses personnes âgées dépendent de leurs proches. Il est indispensable de socialiser ces prises en charges, mais aussi de développer et d’allonger le congé parental – y compris pour les hommes – pour libérer les femmes dans leur travail et leur carrière. Le 8 mars, c’est tous les jours.

Valérie Géraud