Quoi qu’il en coûte… sauf pour les ménages et les plus précaires

Pour régler la question du remboursement de la dette Covid, il faut aussi s’intéresser à ceux à qui elle a profité.

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Sur qui pèsera la dette Covid ? Parmi les premiers touchés par l’accroissement des inégalités : les jeunes. © PHOTOPQR / LE PARISIEN / MAXPPP
Les choix budgétaires français faits au moment de la crise sanitaire ont abouti à laisser de côté une partie de la population. Dans une comparaison européenne, l’Ires en fait la démonstration.

Audace politique ou ardoise infernale ? Pendant des mois, Emmanuel Macron s’est vanté d’avoir contourné tous ses principes de contrôle budgétaire pour affronter la crise sanitaire. Désormais, changement de cap : les 60 milliards de dépenses effectives engagées dès l’année 2020 doivent être remboursés sans discussion.

Effectivement, aucun gouvernement n’a dépensé une telle somme pour pallier les effets d’une crise économique, c’est un fait. Reste que ce chiffre ne dit rien de son ampleur au regard des efforts faits dans les autres pays européens. Surtout, il ne donne aucune information sur les agents économiques qui en ont le plus bénéficié. Un article de la Chronique internationale de l’Ires de décembre 2021 comble ce manque.

La France, juste dans la moyenne européenne

Premier constat et non des moindres : la France n’a pas dépensé davantage que l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne pour contrer les effets de la crise sanitaire. Et la difficulté de comparer les budgets alloués par tel ou tel État n’y changera rien. Antoine Math, l’auteur de l’article le rappelle : la comparaison de la part du Pib consacrée aux mesures de soutien aux entreprises, à l’emploi, ou destinées aux aides directes aux ménages n’assigne pas aux contribuables français une charge particulièrement lourde. La « dette Covid » – mesures d’urgence et relance budgétaires cumulées – a représenté en 2020 3,1 % du Pib français contre 3,4 % en Allemagne, 4,3 % en Italie et 5,9 % en Grande-Bretagne.

Au-delà, si, en France comme partout ailleurs, les sommes dépensées ont incontestablement été historiques, permettant d’éviter les faillites et l’explosion du chômage, les plus précaires ont été les grands oubliés de l’effort budgétaire.

Un soutien actif et direct aux entreprises

Dans l’Hexagone, note ainsi Antoine Math, les aides directes aux ménages, c’est-à-dire celles relevant des dispositifs d’assistance, ainsi que les protections et garanties en matière de logement ou de santé ont été particulièrement faibles. De mars à décembre 2020, ce poste stricto sensu n’a représenté que 0,1 % du Pib, contre 0,4 % en Italie et au Royaume-Uni, 0,5 % en Espagne et 0,6 % en Allemagne. C’est donc quatre, cinq, ou six fois moins que ses voisins. En revanche, la France n’a pas lésiné pour soutenir l’activité des entreprises, dépensant 1 % de son Pib pour ce faire. Une proportion significative si on se rapporte à ce qui a été fait en Italie (1,4 %), en Allemagne (0,9 %) ou en Espagne (0,6 %).

Bien sûr, les ménages français ont pleinement bénéficié des mesures de chômage partiel qui, sil elles ont permis de maintenir en vie de nombreuses entreprises, ont aussi préservé la relation d’emploi et le revenu des salariés. Et en la matière, l’État français n’a pas mégoté : 1,2 % du Pib en 2020.

Malgré ce « pognon de dingue »

Mais cet effort historique masque quelque peu une réalité difficilement contournable. Tous les foyers n’ont pas été éligibles au bénéfice du chômage partiel. Et notamment ceux des « travailleurs précaires, saisonniers, intérimaires, personnes en emploi informel, non déclarées, certains indépendants ou pseudo-indépendants ».

Reprenant la thèse de plusieurs autres chercheurs, Antoine Math, dès lors, est formel : les politiques publiques mises en place en 2020 pour faire face au choc causé par la crise sanitaire ont laissé de côté une partie de la population. Si le montant des dépenses effectives engagées par l’État français aux premiers mois de la pandémie a dépassé tout ce qui avait pu exister jusque-là, la crise sanitaire, écrit-il, a engendré « un accroissement des inégalités » et une poussée marquée des « phénomènes de paupérisation ».

Au premier trimestre 2021, toutes catégories confondues, 22 % des ménages déclaraient une diminution de leurs revenus sur les neuf mois précédents. Parmi les ménages modestes, ce chiffre montait à 29 %, à 32 % pour les 25-34 ans et à 37 % pour les indépendants : « Et ce, pour des montants plus importants que la moyenne des ménages. »

Martine Hassoun