La crise énergétique impose un changement de logiciel

par Sophie Binet, Secrétaire générale de l’Ugict-Cgt La flambée des prix de l’énergie dépasse largement les 15 % annoncés par Élisabeth […]

par Sophie Binet, Secrétaire générale de l’Ugict-Cgt

Cent-cinquante euros le mégawattheure de gaz en septembre contre 20 euros l’année précédente…

La flambée des prix de l’énergie dépasse largement les 15 % annoncés par Élisabeth Borne. Résultat : des charges qui pourraient dépasser le montant des loyers et mettre en défaut de paiements des milliers de locataires, de syndics et d’offices HLM, des collectivités prises à la gorge et des industries dont les coûts de production explosent. Après avoir engrangé des bénéfices records, les entreprises du CAC 40 font encore payer la facture aux salarié·es, sommé·es de travailler de nuit pour faire tourner les machines en heures creuses, basculé·es en chômage partiel sans maintien de leur rémunération, et confronté·es au chantage à la délocalisation.

Que fait le gouvernement ? Il se contente de signer des chèques pour tenter d’éteindre l’incendie sans répondre aux causes du problème. Pire, il continue les cadeaux au capital : avec le bouclier tarifaire, c’est le contribuable qui vole au secours des majors de l’énergie en leur permettant de continuer à pratiquer des prix astronomiques et de dégager les profits équivalents… Cerise sur le gâteau, le gouvernement supprime la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui rapportait chaque année 3 à 4 milliards d’euros aux collectivités locales. Le remake du « quoi qu’il en coûte » pour le Covid, avec des aides massives principalement absorbées par les multinationales. On socialise les pertes et on privatise les bénéfices. Notons d’ailleurs que le bouclier tarifaire représentera pour 2023 45 milliards d’euros, soit plus de deux fois le montant de déficit du système de retraite, pourtant dramatisé par le gouvernement pour justifier le report de l’âge de départ.

Alors que faire ? Ne surtout pas, comme le gouvernement, se limiter à des réponses ponctuelles, mais lier mesures immédiates avec transformation de notre système énergétique, productif et immobilier pour répondre au défi environnemental.

Il s’agit d’abord de répondre à l’urgence en baissant la TVA à 5,5 % sur l’énergie, qui constitue, clairement, un bien de première nécessité. Pour les entreprises, mettre en place des aides conditionnées à l’obligation de maintenir les effectifs et d’investir pour limiter leurs émissions de CO2, avec, pour en garantir l’effectivité, un droit de veto pour les représentant·es du personnel.

Ensuite, revenir aux prix régulés de l’énergie, qui permettaient aux entreprises et aux particuliers d’avoir une visibilité de plusieurs années et qui empêchaient la spéculation. La situation confirme que l’énergie ne peut être un marché comme les autres. Dans le prolongement de la recapitalisation à 100 % d’EDF par l’État, il faut mettre en place un service public de l’énergie et investir massivement pour garantir un mix énergétique décarboné (renouvelables et nucléaire). Alors que l’essentiel des panneaux solaires est importé, il y a urgence à créer en France de vraies filières industrielles d’énergies renouvelables et à développer la recherche et les qualifications !

Enfin, traiter le problème de l’isolation des bâtiments, pour laquelle le déficit d’anticipation est choquant. Les investissements doivent être considérablement augmentés mais ils doivent aussi être associés à des normes sociales dans le secteur, qui détient le record d’accidents du travail : limitation des niveaux de sous-traitance, emploi en CDI, prévention de la pénibilité…

Comment financer ? En taxant, enfin, les gigantesques profits !

Chronique initialement publiée dans l’Humanité Magazine du 13 octobre 2022