Rémunération à la performance : ce que les femmes ont à y perdre

Alors que plus de 80 % des femmes cadres estiment que leur pouvoir d’achat a baissé, montre le baromètre Ugict-Cgt/Secafi/Viavoice, ce système de rémunération est de plus en plus répandu dans toute l’Union européenne. Et alimente l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes.

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Les femmes sont pénalisées par des systèmes de rémunération soumis à  la discrétion managériale. © AltoPress/ Maxppp
Alors que plus de 80 % des femmes cadres estiment que leur pouvoir d’achat a baissé, montre le baromètre Ugict-Cgt/Secafi/Viavoice, ce système de rémunération est de plus en plus répandu dans toute l’Union européenne. Et alimente l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes.

Lorsqu’on s’intéresse aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes, certains écarts sont aujourd’hui sérieusement documentés et connus. Ainsi en est-il de l’écart moyen de rémunération dans l’Union européenne : il est de 14,1 %, en 2020, selon Eurostat, soit une diminution de deux points en dix ans. Mais d’autres font l’objet de moins d’attention, à l’image du rôle joué par la rémunération à la performance dans la persistance de ces écarts. Ce n’est pas que l’Union européenne, dont le cadre juridique en la matière d’égalité de rémunération est en train d’évoluer, ne fait rien.

Mais ce système de rémunération variable constitue encore l’un des points aveugles de cette stratégie : jusqu’à présent, « aucune mention explicite en est faite, ni dans la stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2020-2025, ni dans le plan d’action de l’Ue 2017-2019 sur la lutte contre l’écart de rémunération entre les sexes ». Le constat est posé par des chercheurs de l’Etui (Institut syndical européenne) dans une note d’information Gender inequality in performance-related pay | etui, uniquement disponible en anglais.

Des recherches récentes montrent pourtant que ce système de rémunération est en plein essor : il concerne un tiers des travailleurs européens en 2015, contre moins d’un cinquième en 2000. Autre fait marquant, mis en lumière par Kalina Arabadjieva et Wouter Zwysen : « À mesure que (cette) rémunération est devenue plus répandue, elle s’est aussi moins bien répartie entre les hommes et les femmes ». Tout l’intérêt de leur travail est d’essayer de comprendre pourquoi, en interrogeant les mécanismes contribuant à l’écart de rémunération. En particulier, ils montrent que cet écart « s’est principalement creusé en ce qui concerne les primes fondées sur l’équipe ou l’entreprise, plus étroitement liées à la participation aux bénéfices et reflétant le pouvoir de négociation plus faible des femmes, en moyenne ». Au total, si les femmes reçoivent moins souvent une rémunération liée à la performance, lorsque c’est le cas, leur montant est moindre que celui des hommes.

Une rémunération soumise à la discrétion managériale

Comment l’expliquer ? Cela tient, pour beaucoup, au fait que cette rémunération est le plus souvent disponible dans les grandes entreprises, à l’extrémité supérieure de la distribution des salaires, pour un travail généralement à temps plein, qui plus est dans certains secteurs et professions où les hommes sont sur-représentés. D’autres facteurs sont moins évidents, comme le fait de ne pas choisir de travailler dans des emplois dits « plus compétitifs ».

Toutefois, soulignent les chercheurs de l’Etui, « la plupart des études n’ont pas révélé que les femmes évitent ces emplois. Une explication plus probable est que ces systèmes de rémunération sont davantage soumis à la discrétion managériale, en particulier lorsque la performance est difficile à mesurer, et peuvent ainsi ancrer les stéréotypes. Ils sont en outre accordés dans le cadre d’un ensemble de récompenses et s’adressent principalement aux travailleurs qui gagnent déjà plus ». Or, en France, par exemple, les femmes ne représentent que 21,3 % des 1 % des salariés les mieux rémunérés, montre la dernière étude de l’Insee : Les salaires dans le secteur privé en 2020 — Insee Première — 1898.

Certes, le cadre actuel de l’UE sur l’égalité de rémunération pourrait être d’une certaine utilité pour y remédier. Mais celle utilité est « limitée », notent-ils, en listant les points d’appui juridiques et en s’interrogeant sur les possibles apports de la proposition de directive sur la transparence des rémunérations Vu d’Europe — Vers la fin du secret des rémunérations.

Par exemple : l’obligation de procéder à une évaluation conjointe des rémunérations lorsque les rapports de rémunération révèlent un écart entre les sexes de plus de 5 %, ce qui pourrait « aider à identifier les impacts disparates de la rémunération liée aux performances sur les hommes et les femmes ». Dans tous les cas, insiste l’Etui, la question ne peut plus être ignorée. En France, la part variable des salaires, dont les primes individuelles font partie, représentait en 2018, selon les dernières données disponibles, presque 20 %, de la rémunération brute totale.

C. L.