Femmes –  La violence, un genre certain

La chronique des violences faites aux femmes est scandée par des prénoms, par des slogans collés sur les murs en […]

©DENISE ROSSANO/MAXPPP
Les violences faites aux femmes sont devenues un élément majeur du débat public et des mobilisations touchant à  l’avenir de la société. Une enquête de l’Institut national d’études démographiques vient nous rappeler, statistiques à  l’appui, qu’au travail aussi la violence a un genre.

La chronique des violences faites aux femmes est scandée par des prénoms, par des slogans collés sur les murs en lettres capitales, par des procès et des manifestations. Si elle est spectaculaire, cette dimension n’est qu’un pauvre reflet de la réalité du phénomène. D’une part à  cause du chiffre noir, à  savoir tout ce qui n’est pas déclaré. D’autre part, parce que les définitions de la violence qui autorisent l’action de la police et de la justice sont, de fait, limitées. C’est autour de ces deux dimensions que se joue l’apport majeur de l’enquête démographique «â€‰Violences et rapports de genre  », dite «â€‰Virage  »â€‰. Pour qualifier la violence, les chercheurs de l’Ined ont retenu la notion d’atteinte à  l’intégrité physique et morale de la personne. Cela permet de prendre en compte les actes, gestes et paroles qui visent à  «â€‰imposer sa volonté à  l’autre, le dominer au besoin en l’humiliant, en le dévalorisant, en le harcelant jusqu’à  sa capitulation et sa soumission  ». Cette définition élargie permet de cerner la réalité d’un continuum de la violence, qui ne saurait être ramenée à  ses seules manifestations extrêmes. Ce scope élargi permet également une approche comparative des déclarations des femmes et des hommes, qui confirme que les hommes, eux ne connaissent pas ce continuum. Les femmes, elles, expérimentent littéralement un parcours dans lequel chaque fait vient se situer dans un ensemble plus vaste qui inclut les menaces, les agressions verbales, les atteintes psychologiques, les violences physiques et sexuelles.

La hiérarchie tenue responsable des pressions psychologiques

Présente partout, cette violence «â€‰perpétrée de façon univoque et destructrice  » se manifeste évidemment dans les mondes du travail : ainsi, 20 % des femmes et 15,5 % des hommes déclarent avoir subi au moins un fait de violence dans les douze derniers mois au travail et, pour 8 sur 10 d’entre eux et elles, il s’agit de violences multiples et plurielles. Ces résultats, en soi effarants, doivent être revus au filtre du genre. Car non seulement femmes et hommes n’affrontent pas les mêmes violences, mais les femmes déclarent le double de violences sexuelles, du type allusions sexuelles, propos dérangeants, chantage et agressions sexuelles. Cela concerne 4 % d’entre elles, contre 2 % des hommes. On retrouve le même décalage au chapitre des violences physiques (2 % contre 1 % des hommes) et lorsqu’il s’agit d’insultes et de pressions psychologiques. Sans surprise, dans un nombre élevé de cas, c’est la hiérarchie qui est tenue pour responsable des pressions psychologiques (38 % pour les femmes et 46 % pour les hommes) et des atteintes au travail (58 % pour les femmes et 66 % pour les hommes).

On retrouve plutôt les intervenants étrangers à  l’entreprise – qu’il s’agisse du public ou des fournisseurs â€“ du côté des violences physiques, avec là  encore un décalage notable entre les femmes (68 %) et les hommes (39 %).
Les violences sexuelles témoignent également d’une asymétrie de genre : si les hommes accusent plutôt leurs collègues, les femmes, elles, se retrouvent exposées aux violences sexuelles de leurs collègues, de la hiérarchie ainsi que du public. Même si cela surprend, on doit hélas constater que le statut, pas plus que le rang hiérarchique, ne suffisent à  assurer une protection. Les femmes ayant répondu à  l’enquête, qui ont donc travaillé au moins quatre mois pendant les douze mois précédents, relèvent des catégories cadres et des professions intermédiaires, qui déclarent le plus de violences.
Il apparaît ainsi que le secteur tertiaire est un lieu lourd de violences pour les femmes, et que l’accès aux responsabilités les rend d’autant plus fréquentes. Les fréquences de victimation sont plus importantes pour les titulaires de contrats à  durée déterminée comme pour les femmes fonctionnaires, qui déclarent davantage de violences dans chaque catégorie. Ces dernières se retrouvent comme prises au piège et captives des violences, au même titre que les salariés en contrats précaires, la mobilité étant difficile au sein des fonctions publiques.

Ces éléments statistiques, qui ne sauraient laisser indifférent le syndicalisme, témoignent de ce que le sexisme présent dans toute la société française, y compris dans ses manifestations violentes, se conjugue à  l’entreprise sur un mode de management qui, au mieux, l’ignore et, au pire, l’alimente. Cette situation a d’ailleurs été exacerbée durant les douze derniers mois, largement marqués par l’état d’urgence sanitaire et ses manifestations, parmi lesquelles le confinement.

Le sexisme présent dans toute la société française, y compris dans ses manifestations violentes, se conjugue à  l’entreprise sur un mode de management qui, au mieux, les ignore et, au pire, les alimente. Cette situation a été exacerbée durant les douze derniers mois, marqués par l’état d’urgence sanitaire et le confinement.

Hors entreprise, la violence à  l’égard des femmes se manifeste de façon plus répétitive, par un cumul de faits au cours de l’année, davantage de faits jugés graves, avec des auteurs à  90 % masculins. à€ l’exception de la drague importune (interpellations, sifflements…) ou des propositions sexuelles insistantes, les auteurs des violences subies par les hommes sont généralement des inconnus, sauf pour les violences physiques. Les propositions sexuelles insistantes, elles, sont le fait de personnes connues dans un cas sur trois (32,5 %).

Dans l’espace public, cela survient de façon banale, dans des contextes ordinaires, dans des lieux fréquentés habituellement. Pour les femmes, c’est le plus souvent en pleine journée mais les violences physiques, le harcèlement et les violences sexuelles se produisent un peu plus souvent après la tombée de la nuit. Insultes et drague surviennent principalement dans la rue, dans des parkings ou des parties communes d’immeubles. Pour les autres faits déclarés graves dans les espaces publics, comme les attouchements, viols et tentatives de viols, ils sont majoritairement perpétrés dans les transports.

Les jeunes, et plus spécialement les jeunes femmes, se retrouvent surexposés, et ces dernières sont particulièrement visées par des faits à  caractère sexuel : 14 % des femmes de 20-24 ans ont subi des faits de harcèlement ou de violences sexuelles (contre 5 % en moyenne). Concernant les femmes, la jeunesse est associée à  une représentation de la disponibilité sexuelle. Ainsi, ce qui pourrait passer comme un acquis d’évidence, à  savoir la libre présence des femmes dans l’espace public, reste bel et bien un enjeu, risques à  la clé.

La violence dans le couple réagit au contexte social

Au sein du couple, l’évaluation apparaît plus compliquée à  évaluer, car la violence s’y mélange souvent avec du conflit, des situations de crise plus ou moins installées. L’enquête de l’Ined s’y est néanmoins essayée. Elle permet de constater que, comme dans l’entreprise o๠elle se combine aux maux endémiques de l’organisation du travail, la violence dans le couple réagit au contexte social. Il existe ainsi une forte corrélation avec l’absence d’emploi, souvent synonyme de plus fort isolement.

Enfin, le confinement s’avère pesant : le fait qu’un conjoint, voire les deux, soit quotidiennement au domicile, augmente la fréquence des violences, en particulier pour les femmes. Ce n’est donc pas tant la profession ni le positionnement dans la classification des emplois qui importent que l’exclusion – temporaire ou non â€“ de l’emploi. Enfin, les situations varient selon la situation familiale : les mères d’un enfant ou de familles nombreuses sont surexposées. Un tiers des femmes qui se sont séparées dans l’année déclarent d’ailleurs avoir subi des violences ; près de 20 % dénoncent des atteintes fréquentes ou graves et des violences très graves, subies juste avant la séparation. Une fois la séparation actée, 16 % des femmes font état de violences qui restent, elles aussi multiformes, y compris sexuelles.

Louis Sallay