Médecine du travail : en toute transparence ?

Le projet de loi sur la santé au travail, voté mi-février à l’Assemblée nationale, devrait entrer en vigueur au plus […]

Photo : Vincent Voegtlin/Photopqr/L’Alsace/Maxppp
Désormais, les salariés devront dire si, oui ou non, ils acceptent qu’un médecin accède à leurs données médicales personnelles. Enjeu.

Le projet de loi sur la santé au travail, voté mi-février à l’Assemblée nationale, devrait entrer en vigueur au plus tard le 31 mars. Il consigne les limites de l’accord interprofessionnel « Santé au travail » sur lequel patronat et syndicats, Cgt exceptée, se sont accordés en décembre. Mais il introduit aussi des dispositions que l’Ani n’avait pas consignées, comme l’abolition du principe de non-accessibilité du dossier médical partagé par les médecins du travail. La raison en était simple, rappelle le quotidien juridique Liaisons sociales : une majorité d’organisations syndicales s’était opposée à une telle réforme. Demain donc, l’échange d’informations entre la médecine du travail et celle de ville sera possible.

L’affaire est grave. Dans une tribune parue le 26 janvier dans le trimestriel Santé et Travail, Mélissa Ménétrier et Christian Torrès (médecins du travail) et Frank Héas (professeur de droit privé) s’en inquiètent vivement. Cette réforme, expliquent-ils, fait voler en éclats un principe fondamental : le caractère inviolable du secret médical. Un principe édicté dans le Code de la santé publique, et fondé sur une idée toute simple : « Il ne peut y avoir pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance et de confiance sans secret. »

Risque de sélection à l’embauche

À l’avenir, insistent les trois experts, les patients pourraient ne plus oser se confier à leur généraliste s’ils craignent que leurs données de santé puissent être communiquées au médecin du travail. Ce praticien, rappellent-ils, n’en est pas un comme les autres. S’il a pour fonction de prévenir les risques, il a aussi pour tâche de délivrer des avis d’inaptitude. Autrement dit, d’autoriser ou non la poursuite du contrat de travail.

Et puis, comment ne pas craindre que cette porosité des données n’engendre une autre dérive : si ce n’est le développement d’une sélection à l’embauche des salariés fondée sur leur profil médical, un accroissement des discriminations dans les processus d’évolution de carrière, poursuit la Cgt dans une note rédigée par son secteur Santé-Travail. Le risque est tel que députés et sénateurs ont admis devoir fixer quelques garde-fous à cette réforme : n’autoriser le transfert de données du médecin traitant vers le médecin du travail qu’à la condition que le salarié ait été informé de cette éventualité, et qu’il ait donné son consentement. Spécifiant précisément qu’un refus ne pouvait être considéré comme une faute…

Martine Hassoun