Enseignement supérieur master: viser la Lune ?

Dure fin d’année universitaire pour Armand, en 3e année de licence (L3) de droit à Paris‑II Panthéon-Assas. En plein milieu […]

©Thomas Padilla/MAXPPP
Les places en master sont insuffisantes. Instaurée en 2017, la sélection dès la première année de master, estimée plus logique, et censée être pondérée par le « droit à la poursuite d’études », continue d’exclure et de générer des inégalités.

Dure fin d’année universitaire pour Armand, en 3e année de licence (L3) de droit à Paris‑II Panthéon-Assas. En plein milieu des examens après des mois éprouvants d’enseignement à distance, il doit aussi trouver du temps pour postuler au plus grand nombre de masters possible, afin de se donner les meilleures chances d’être admis en première année de master (M1). Depuis 2017, il ne suffit plus d’obtenir une licence pour entrer en master. La sélection, qui ne s’opérait pas avant le passage en M2, est désormais effective dès l’entrée en M1. Officiellement, il ne s’agit pas de remettre en question le « droit à la poursuite d’études », qui a même été réaffirmé au moment de cette réforme. En réalité, les places en master n’étant pas suffisantes, en particulier dans les masters les plus prisés, les recalés et les abandons se multiplient.

« Même si elle nous donnait la priorité, poursuit Armand, Assas ne pourrait offrir de places qu’à la moitié de ses L3. Or notre faculté doit aussi examiner
des candidatures de toute la France, le droit étant une des filières les plus en tension. » Armand a listé sur un tableur Excel les masters qui l’intéressent dans près de 30 universités. « Le portail gouvernemental Trouver Mon Master ne les recense pas tous. De plus, chaque procédure est spécifique, en termes de calendrier d’ouverture, de clôture des candidatures, de profils requis. Certaines font l’objet de questionnaires, de tests, voire d’examens, ou exigent des recommandations en plus des Cv et lettres de motivation circonstanciées. En cas d’avis favorable, on ne dispose que de quelques jours pour confirmer sa demande : c’est ce qu’ils font, même s’ils attendent d’autres réponses, ce qui bloque l’attente des autres. »

Trouver Mon Master… ou pas

Armand souligne aussi d’autres obstacles à ce parcours du combattant :
« Notre faculté ne nous offre aucune aide, considérant que cela fait partie de notre formation de construire notre parcours tout seul. Ceux qui peuvent bénéficier d’un entourage avisé ou qui disposent des moyens financiers pour s’installer au dernier moment n’importe où se montrent évidemment plus détendus. » Boursier et contraint de travailler à temps partiel, Armand sait que lui devra sans doute accepter un master moins prisé pour rester chez ses parents et pouvoir poursuivre ses études.

Noa subit un peu moins de stress, quoique. En L3 de géosciences à Bordeaux, elle étudie actuellement pour un semestre en Corée du Sud : « À Bordeaux, ils ont suivi des séances d’accompagnement pour leurs candidatures en master. Une aide précieuse, d’autant que le portail gouvernemental comme les infos fournies par les universités ne sont pas toujours clairs. Je suis pour ma part conseillée par le coordinateur des étudiants en mobilité. Par ailleurs, Bordeaux donne un petit bonus à ses étudiants, les masters n’y sont pas trop en tension, sauf en océanographie (de l’ordre d’une place pour 20 candidats). Mais ceux qui m’intéressent le plus (à Pau et Montpellier) sont rares et très sélectifs ! Je ne trouve pas logique de limiter le nombre de places indépendamment de la qualité des candidatures, d’autant qu’arriver jusqu’en master c’est déjà prouver son investissement. Dans ma licence, nous sommes passés de 100 en L1 à 40 en L3… »

Depuis la réforme, le nombre de places en master reste stable (580 000 en M1 et M2) alors que les entrées à l’université continuent d’augmenter
(+ 90 000 pour 2020 et 2021). Les L3 ne souhaitent pas tous poursuivre en M1, mais les recalés ou ceux qui abandonnent faute d’être acceptés dans un master qui corresponde à leur projet professionnel sont de plus en plus nombreux. Une étude ministérielle montre que même quand les rectorats sollicitent les universités pour une deuxième phase d’admission, leurs propositions restent limitées (79 048 demandes, 1 486 repêchages acceptés en 2020). Certains étudiants déboutés vont pourtant jusqu’à des grèves de la faim pour faire valoir leur « droit à la poursuite d’études ». Un rapport récent du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hceres) le confirme. En 2020, 11 566 L3 ont déposé des saisines auprès de leur rectorat (contre 5 061 en 2019), et seulement une sur cinq a été satisfaite.

Jusqu’à présent, les rectorats devaient proposer aux déboutés au moins trois autres masters où des places restaient vacantes. Un nouvel arrêté plus restrictif doit être appliqué à partir de juin. L’étudiant ne pourra pas saisir le rectorat avant d’avoir été débouté de toutes ses demandes, et à condition d’en avoir fait au moins cinq, dont deux dans l’académie concernée. Le rectorat n’aura plus que deux propositions à lui faire, et l’étudiant n’aura que huit jours et non plus quinze pour se décider. Par ailleurs, sur requête d’une étudiante en psychologie d’Orléans, le Conseil d’État a statué en janvier que les jurys étaient souverains et n’avaient pas à motiver le choix ou le rejet d’un étudiant.

« Les universités profitent du flou juridique pour abandonner certains étudiants à leur sort, déplore Frédérique Bey, membre du bureau de la Ferc-Sup-Cgt et représentante Cgt au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). Le ministère a pourtant instauré ce dispositif de saisine pour rendre moins inacceptable la sélection en master 1. Il vient aussi de restreindre la liste des compatibilités entre L3 et M1, pour limiter la recevabilité des demandes. La vraie solution serait de donner des moyens à l’enseignement supérieur, qui perd encore des postes quand le nombre d’étudiants augmente. L’État organise la pénurie de places et poursuit son désengagement. Pendant ce temps, des écoles privées se positionnent pour répondre aux déboutés qui ont les moyens de payer des frais de scolarité allant parfois jusqu’à 15 000 euros l’année. Elles font le forcing auprès du Cneser pour faire labelliser leurs formations au grade master. Même certaines universités créent des filières distinctes, les diplômes universitaires plus accessibles à condition de payer plus ». L’ascenseur social sera réservé à ceux qui ont déjà accès aux étages supérieurs.

Valérie Géraud