Retour au télétravail… Concours d’obstacles pour le dialogue social

En apparence, la pandémie n’a pas entamé la vitalité du dialogue social. Mais en apparence seulement. Car si, sur la […]

En 2020, 76 000 accords ont été conclus dans les entreprises. ©  Anna Shvets / Pexels
L’urgence sanitaire et, avec elle, l’essor massif du télétravail ont entraîné une transformation des relations de travail et du dialogue social. C’est ce que montre une étude réalisée par deux chercheurs du Cnam.

En apparence, la pandémie n’a pas entamé la vitalité du dialogue social. Mais en apparence seulement. Car si, sur la seule année 2020, plus de 76 000 accords ont été conclus en entreprise dont 10 000 consacrés aux seules conditions d’exercice du télétravail ou du chômage partiel, ces données ne disent rien des difficultés qu’ont rencontrées aux tout premiers mois de la pandémie les élus et mandatés pour défendre les intérêts des personnels.

L’étude réalisée par Camille Dupuy et Jules Simha, tous deux chercheurs au Centre d’études de l’emploi et du travail du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), dans deux sociétés du secteur des technologies de l’information et de la communication – Digital Consulting et Réseaux – le confirme. En effet, elle met en exergue quatre obstacles qui les ont empêchés de mener à bien leur mission :

1) 2020 a été l’année où le processus de négociation collective s’est concentré au sommet…

Si, dans la loi française, c’est au niveau de l’entreprise que se constitue la norme du travail, elle ne dit pas à quel niveau, en son sein, doit se développer le dialogue social. Siège social ou établissement, elle n’a donné aucune consigne. En 2020, les conséquences de cette lacune ont donc été très claires : « La pandémie a clairement accéléré la centralisation des régulations collectives », indique le document.

Et la spécificité des sujets à traiter n’y a rien changé. Qu’il s’agisse des contraintes à négocier sur des lieux de travail plus ou moins touchés par la pandémie ou des contenus de travail plus ou moins exposés, les décisions ont été prises loin des réalités quotidiennes des salariés. Et là n’est pas la seule spécificité de ce qu’ont été les relations sociales aux premiers temps de l’épidémie.

2) L’année où le dialogue social est devenu monomaniaque…

Autre caractéristique, les discussions ont quasi exclusivement été consacrées à la mise en œuvre de directives gouvernementales prises dans l’urgence. Au printemps 2020, d’un coup d’un seul, les partenaires sociaux ont dû abandonner les trois thématiques privilégiées dans les négociations : la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée d’abord ; l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail ensuite ; enfin, la gestion prévisionnelle des compétences et la mixité des métiers. Pressés par le temps, ils s’en sont détournés, ajournant et reportant les négociations annuelles obligatoires (Nao) pour totalement se consacrer à l’accompagnement des conséquences sociale de la crise sanitaire.

3) L’année où l’activité des représentants du personnel s’est encore complexifiée…

Cela fait des années que les représentants du personnel s’accordent à dire que les conditions de la négociation se sont dégradées. La pandémie a encore aggravé cette tendance, assurent les deux chercheurs. Elle l’a renforcée par l’augmentation considérable du nombre de réunions avec, à chaque fois, une multiplication des points à l’ordre du jour. Elle l’a amplifiée en contraignant les militants à négocier dans des conditions inusitées.

Même dans le secteur des hautes technologies, les réunions par Zoom, Skype ou Teams leur ont été difficiles à tenir, les obligeant à interagir dans l’urgence et sans formation préalable avec des interlocuteurs éloignés, parfois même invisibles. Et leur interdisant tout échange informel indispensable à des négociations justes et loyales. Au fond, notent Camille Dupuy et Jules Simha, ces nouvelles modalités du dialogue social « ont laissé trop souvent la place aux décisions unilatérales des directions ».

4) Et le syndicalisme dans tout ça ?

L’enquête menée par les deux chercheurs en témoigne : les effets à rebours du développement du télétravail lancent un véritable défi pour les militants. Si, pendant des mois, ils ont tenté d’affronter la réalité dans laquelle ils étaient plongés en cherchant à user des réseaux sociaux pour lancer des initiatives capables de maintenir les relations avec leurs collègues, déployant des trésors d’imagination en organisant en ligne des assemblées générales, des activités sociales, culturelles et mêmes sportives, l’affaire n’est pas réglée. Si ces nouvelles pratiques ont démontré la volonté d’agir et de se renouveler du syndicalisme, elles se sont vite essoufflées, alertent Camille Dupuy et Jules Simha. Et, face à l’éloignement induit par le travail à distance entre les salariés et leurs représentants, les organisations n’ont pas encore trouvé la martingale.

M. H.