France Bleu : une grève perturbe le lancement d’une plateforme numérique d’information

En cessant de produire pour internet, la rédaction réclame des moyens et des emplois dédiés au nouveau support ainsi que des garanties sur son fonctionnement.

Options - Le journal de l'Ugict-CGT
Avec ce mouvement, le personnel redécouvre ce qu’est une journée normale de travail. ©PHOTOPQR/LE PROGRES/Celik Erkul
En cessant de produire pour internet, la rédaction réclame des moyens et des emplois dédiés au nouveau support ainsi que des garanties sur son fonctionnement.

Les applications mobiles de France Bleu et de France 3 ont fusionné au sein d’une plateforme conjointe nommé « Ici, par France Bleu & France 3 ». Mais suite à son lancement, un mouvement social perturbe les rédactions des 44 antennes locales de France Bleu. Une « grève à bas bruit pour faire pression sur la direction », selon les termes de Lionel Thompson, cégétiste et représentant du personnel au conseil d’administration de Radio France. À France Bleu, le Syndicat national des journalistes (Snj-Cgt) a appelé les salariés « dont le poste n’est pas dédié au web ou le contrat de travail n’inclut pas le web à cesser de produire pour internet », pour se concentrer sur la production radiophonique ordinaire. « Avec ce mouvement, on redécouvre ce qu’est une journée de travail normal »,observe Sophie Morlans, journaliste à France Bleu Nord.

Après une première journée d’action, le 31 mars, à l’initiative du Snj, cette contestation s’inscrit dans le contexte d’une explosion des risques psychosociaux mise en évidence par une expertise présentée le 14 mars aux cinq comités sociaux et économiques de Radio France. Jusqu’à présent, « la réponse de la direction a consisté à jouer la montre et ne pas apporter de réponses sérieuses et immédiates pour mettre fin à cette situation inacceptable », souligne, dans un communiqué, le Snj-Cgt de Radio France. « S’il y a dépassement des horaires légaux, surcharge de travail et travail dissimulé, précise Lionel Thompson, cela est en grande partie dû aux tâches liées au web, qui sont apparues sans création d’emplois supplémentaires. »

Une transition numérique qui questionne le sens du travail

Comme l’ensemble des médias, Radio France a lancé sa « transition numérique » il y a plusieurs années afin de diffuser ses contenus éditoriaux en ligne via des sites web et des applications dédiées. « Au début, on choisissait le matin, en conférence de rédaction, quel sujet serait traité en ligne en supplément de la radio, témoigne Sophie Morlans. Maintenant c’est devenu systématique. En plus des reportages, on doit produire un ou deux sujets web, parfois le double. Bien sûr, on en voit la plus-value quand on obtient un bon témoignage : on en retient quatre minutes pour le web alors qu’on ne peut en diffuser qu’une minute en radio. »

Progressivement pourtant, la rédaction sur le web a pris le dessus en occupant une place grandissante dans les journées de travail, et cela interroge le sens que les journalistes donnent à leur travail : « Mettre en ligne des articles en fin de journée et les diffuser sur les réseaux sociaux est une responsabilité importante. Si on fait tout ce qu’on peut, ce n’est pas toujours un travail sérieux et respectueux de notre lectorat », regrette la journaliste.

Le malaise est d’autant plus grand que la plateforme commune résulte d’une injonction de la tutelle : « Ce n’est pas le fruit d’une réflexion de Radio France », regrette ainsi Rodolphe Faure, secrétaire du Cse Sud Méditerranée et animateur à France Bleu Gard-Lozère. C’est en effet en novembre 2021 que la ministre de la Culture, auditionnée par le Sénat, a annoncé la création conjointe, par France Télévisions et Radio France, d’un nouveau « grand média numérique de la vie locale » porté par un groupement d’intérêt économique (Gie), « piloté à parité par les deux entreprises ». « Cette coopération fait suite au déploiement des 21 matinales communes de France Bleu et France 3, ce qui représentera en 2022 près de 10 000 heures de programmes communs, ont fait savoir les directions dans un communiqué communÀ terme, l’intégralité des 44 matinales seront retransmises, proposant à tous les Français sur le territoire métropolitain des matinales d’information ancrées dans leur bassin de vie. »

S’agissant de l’application « Ici, par France Bleu & France 3 », celle-ci remplace l’application France Bleu sur les téléphones Android, mais pas encore sur les téléphones Apple ni sur le site de France Bleu. Sophie Morlans s’interroge d’ailleurs sur la finalité de la fusion avec France 3 et sur les conditions de sa mise en œuvre « alors que notre web fonctionne très bien. Hormis quelques mails de la présidente de Radio France, on ne nous explique d’ailleurs pas comment on va faire avec nos collègues de France 3. C’est le flou artistique. Fusionner avec France 3 ? On n’est pas contre si on arrête de produire à la chaîne et que ça allège nos journées », explique-t-elle.

Le « tous contributeurs » ? Un piège…

« La manière nous interroge, relève en effet Rodolphe Faure. Parce que nous savons que les internautes consultent surtout des vidéos, la crainte est que la radio soit écrasée par la télévision, que la partie programmes de France Bleu soit encore moins visible. » Il s’inquiète aussi du pilotage éditorial de la plateforme et de la disparition annoncée de Francebleu.fralors qu’un tel bouleversement n’est pas envisagé côté audiovisuel. 

En 2017, la direction de Radio France et quatre syndicats ont certes signé un accord d’entreprise sur la transition multimédia. Mais cet accord étant caduc depuis 2020, « rien n’oblige les salarié·es de Radio France à produire pour le web au détriment de la production radio, encore moins si c’est en dépassant leurs horaires légaux », souligne le Snj-Cgt. « Nous nous attendons à une renégociation de cet accord, poursuit Lionel Thompson. À l’époque, nous ne l’avions pas signé en considérant que le “tous contributeurs” était un piège. Nous n’y sommes pas opposés “par principe” : il peut être intéressant de décliner les contenus en web, d’ajouter des informations, des liens… Mais, au risque d’aboutir à la situation décrite par l’expertise sur les conditions de travail, il nous faut des moyens. »

Stéphanie Stoll