Rapport de forces social, par Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt

Nous avons échappé au pire, mais la maison brà»le. Prise en étau entre l’extrême droite, l’abstention et l’ultralibéralisme, notre démocratie est bien malade.

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© Nicolas Marquès

Nous avons échappé au pire, mais la maison brà»le. Prise en étau entre l’extrême droite, l’abstention et l’ultralibéralisme, notre démocratie est bien malade. Avec 13  millions de voix, le rassemblement national gagne près de 3  millions d’électeurs, progresse y compris chez les cadres et professions intermédiaires, et réussit son pari de dédiabolisation.

L’imposture sociale fonctionne à  plein et l’extrême droite réussit à  se faire passer pour la porte-parole des exigences de classe. Derrière les déclarations lisses et politiquement correctes de ses dirigeants dans les médias, prospère un racisme et une violence décomplexés. N’oublions jamais qu’Hitler et Mussolini sont arrivés au pouvoir par les urnes. Par contre, et c’est là  que se tient la différence de nature entre l’extrême droite et les autres forces politiques, une fois arrivés au pouvoir, ils l’ont gardé. C’est ce que tentent ou ont tenté Trump, Bolsonaro, Erdogan ou Poutine.

Les responsabilités de Macron sont évidemment majeures  : il a voulu et a cyniquement organisé ce tête-à -tête. Mais plus fondamentalement, la montée des nouvelles extrêmes droites au plan mondial trouve son origine dans la cupidité et l’irresponsabilité des 1% les plus riches. Elle se nourrit dans le sentiment d’impuissance, dans l’idée que le politique – et au-delà  l’action collective – n’est plus un moyen pour changer la donne.

Et pour cause, les 1% ont organisé – avec l’accord  des gouvernements  ! – l’impuissance des États et l’explosion des inégalités. Alors que l’inflation et la sous-rémunération de la qualification altèrent le pouvoir d’achat, les profits records des multinationales se transforment en montagne de dividendes au lieu de servir les augmentations de salaire. Les destructions environnementales s’accroissent chaque jour. Et nous fonçons dans un mur.

Il s’agit d’une stratégie assumée par une partie du capital qui a compris le parti qu’il pouvait tirer des crises. La crise de 2008 comme celle du Covid, la guerre en Ukraine comme les crises environnementales permettent, par un effet de sidération, d’imposer des solutions pires que le mal, à  l’image des saignées des médecins de Molière. Ce que Naomi Klein appelle «  la stratégie du choc   ». C’est la raison pour laquelle une partie de la City a soutenu le Brexit, une partie des grands patrons – à  commencer par Bolloré – soutiennent Eric Zemmour, Marine Le Pen, Donald Trump et consorts.

Que faire dans ce contexte  ? D’abord, contrer la banalisation de l’extrême droite. Refuser le déni ou la tentation, comme après 2017, de passer à  autre chose sitôt le scrutin présidentiel achevé. Analyser, comprendre et s’organiser. Alors que Marine Le Pen prétend financer le retour de la retraite à  60 ans par la mise en Å“uvre de la préférence nationale, il nous faut déjouer les mises en opposition en traitant au même niveau que la lutte contre l’exploitation capitaliste, la mobilisation contre le racisme et le sexisme. Ne pas se limiter à  dénoncer, mais toujours ouvrir des perspectives et valoriser les conquêtes permises par la mobilisation collective. Porter un horizon de progrès rassembleur pour tout le monde du travail pour combattre le déclassement et le nivellement vers le bas des revendications.

Cela commence par redonner ses lettres de noblesse au débat contradictoire et argumenté. à€ ce que la CGT appelle «  la culture du débat   » et qui est fragilisée par les réseaux sociaux qui limitent notre horizon à  ceux qui partagent le même point de vue, et qui, pour maximiser les clics, valorisent les contenus violents et émotionnels. L’objectif est de créer des convergences exigeantes et de rassembler le monde du travail. Rappelons-nous, dans les années 30, la France échappe au fascisme grâce au Front populaire.

Et c’est la CGT par la mobilisation sociale et la réunification syndicale, qui a été l’architecte de ce rassemblement. La CGT est apartisane mais pas neutre. Son indépendance vise toujours à  préserver, quel que soit celui qui exerce le pouvoir, la capacité de contrepouvoir indispensable à  la transformation sociale et aux démocraties. Mais cette indépendance ne lui interdit pas d’intervenir dans le champ du politique. Bien au contraire.

La séquence électorale n’est pas close.   Les élections législatives des 12 et 19 juin sont un moment clé pour exprimer nos exigences sociales et environnementales. Ce sont les député ·e ·s qui font la loi, décident du budget de l’État et de la sécurité sociale et contrôlent l’action du gouvernement.  Rien n’est encore joué pour les 5 années à  venir et Macron n’a ni mandat ni majorité pour remettre en cause les droits sociaux.

Le premier tour des élections présidentielles a démontré une forte aspiration au rassemblement et au changement de cap. Alors que l’extrême droite atteint un niveau de record, il est de la responsabilité des forces progressistes de s’unir sur un programme de transformation sociale. Pour permettre aux cadres et professions techniciennes et intermédiaires de faire entendre leurs exigences, l’Ugict-CGT va mettre à  leur disposition une campagne d’interpellation des candidat ·e ·s aux législatives (à  l’exception des candidat ·e ·s d’extrême droite).

Ils et elles doivent répondre aux priorités des salarié ·e ·s  : l’augmentation des salaires, la reconnaissance des qualifications, la retraite à  60 ans, l’amélioration de nos services publics, notamment en matière de santé. Mais attention aux coups de balancier et aux illusions de grand soir au Palais Bourbon.

Quel que soit le résultat des élections, c’est le rapport de force social, la mobilisation au travail ou dans la rue, qui est déterminant. Et c’est pour l’enclencher que l’Ugict-CGT vous invite le 12  mai prochain à  ses rencontres d’Options. «â€‰Retraites  : la bataille sociale  », le programme est clair  : alors qu’Emmanuel Macron et le patronat annoncent une réforme régressive, il s’agit d’enclencher le rapport de force sans attendre. On s’y retrouve ?

D’ici là , rendez-vous le 1er mai dans les manifestations organisées partout en France!

Sophie Binet