Rencontres d’Options – Le mythe du modèle unique dans les pays développés

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la France n’est pas si souvent bien lotie au regard des critères d’évaluation des systèmes de retraite. Même si ces derniers s’avèrent imparfaits pour établir des diagnostics et des comparaisons fiables.

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Avec un âge effectif de départ à  64,5 ans, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’Ocde. DR
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la France n’est pas si souvent bien lotie au regard des critères d’évaluation des systèmes de retraite. Même si ces derniers s’avèrent imparfaits pour établir des diagnostics et des comparaisons fiables.

En France, c’est un argument jugé indiscutable par les promoteurs d’un recul de l’âge de départ à la retraite, surtout quand ils sont à court d’arguments : dans tous les autres pays, les salariés partent à la retraite plus tard. Les statistiques montrent pourtant que c’est faux, même si la diversité et la complexité des systèmes de retraite ne permettent pas l’usage de critères d’évaluation garantissant des comparaisons pertinentes.

Monika Queisser, cheffe de division de politique sociale à l’Ocdeconfirme que les prospectives imposent des modélisations préalables : « On fait l’hypothèse d’un parcours sans accroc d’une personne qui commence sa vie active à 22 ans et va travailler jusqu’au moment où il ou elle pourra toucher sa retraite à taux plein (fixée à l’horizon 2060), en essayant de prendre aussi en compte les réformes en projet et les équilibres démographiques de chaque pays. Il en résulte que la France se situe au-dessus de la moyenne de l’Ocde pour l’âge effectif de départ à la retraite (à 64,5 ans, contre 66 ans dans les années 1970) et que cela va continuer. Aujourd’hui, c’est difficile de bénéficier d’une retraite à taux plein à 62 ans car il faut en moyenne avoir travaillé près de 42 ans. Quand on cotise à l’Agirc, la moyenne monte à 63 ans et trois quarts. »

Certes, les statistiques ne suffisent pas à décrire toutes les situations et à déterminer si un système s’avère plus avantageux qu’un autre. Par exemple, les pays connus pour disposer de conditions sociales avantageuses – la Suède, la Norvège, les Pays-Bas – sont aussi ceux où les salariés travaillent le plus longtemps, pour disposer d’un niveau correct de revenus à la retraite.

Sauf que leur espérance de vie en bonne santé n’est pas meilleure qu’en France, championne en la matière, grâce à un système de santé longtemps performant et à la prise en compte de la pénibilité dans le calcul de l’âge de départ à la retraite. D’autant qu’en France, le taux d’emploi des plus de 59 ans est faible, même s’il est en augmentation de 10 % à 30 % ces trente dernières années. Mais il concerne surtout les cadres.

Baisse des taux de remplacement et… essor de la capitalisation

La multiplication des critères peut donc faire varier les constats. Prenons l’impact d’une mesure sur les inégalités. La Nouvelle-Zélande assure un taux de remplacement de 40 % du revenu moyen pour tous ; cela représente une avancée pour les plus pauvres. Mais il faut avoir 65 ans pour la toucher. Les plus pauvres  n’y arrivent pas forcément en bonne santé, et certains continueront pourtant à travailler pour améliorer leurs revenus, tandis que les plus riches s’arrêteront parce qu’ils se seront constitué une bonne pension par capitalisation.

Antoine Rémond, directeur adjoint du Centre d’études et de prospectives du groupe Alpha, donne pour sa part des éléments d’analyse pour comprendre la notion de taux de remplacement. « Elle est censée évaluer la générosité de redistribution d’un système, en fixant les conditions du remplacement du revenu d’activité par une pension. Ce taux peut varier selon les régimes, les parcours professionnels, et là encore les moyennes et les cas type ne reflètent pas la diversité des parcours. Chaque dispositif fixe des taux de prélèvement, des temps de cotisation, un âge pour disposer de ses droits, qui eux aussi peuvent varier en fonction de l’appartenance au secteur public ou au privé, du taux de chômage, ou du pourcentage d’actifs par rapport aux retraités. L’évolution des pensions est également variable selon qu’elle est indexée sur l’inflation, sur les salaires, sur des produits financiers. Il est arrivé qu’elles baissent, en Allemagne, en Espagne ou en Grèce. » 

Le taux de remplacement brut moyen pour l’Union européenne serait actuellement de 54,3 %, avec des variations importantes : de 30 % en Pologne à 75 % en Autriche ou en Italie. Mais ces chiffres ne prennent pas toujours en compte l’âge du départ à la retraite ni les systèmes complémentaires facultatifs – comme les plans épargne retraite.

« On observe en tout cas que sur la période 2005-2013, les taux de remplacement ont nettement baissé, ce qui a en général ouvert la voie à des dispositifs complémentaires de retraite par capitalisation. Face à l’appauvrissement de leur population de retraités, certains pays comme le Royaume-Uni ont même réinstauré (en 2021) un régime obligatoire, et la Commission européenne envisage de déployer des fonds pour redimensionner les taux de prélèvement des régimes de retraites de certains pays membres. »

Même dans un pays qui vieillit, les alternatives sont possibles

L’auditoire regrette que les moyennes ne permettent pas une approche fine des situations, celle des plus pauvres mais aussi des femmes, des pays où la population des retraités croît fortement par rapport à celle des actifs, où le taux de chômage est plus important. D’autres leviers sont également évoqués et considérés comme plus pertinents pour adapter, soutenir ou faire évoluer les systèmes de retraites.

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Plutôt que de travailler plus longtemps, ou baisser le montant des pensions, pourquoi ne pas mettre à contribution le Pib par habitant quand il augmente, ou encore les énormes marges financières de certaines entreprises ? Frédéric Boccara, économiste à l’université Sorbonne Paris-Nord, membre honoraire du Conseil économique, social et environnemental (Cese), déplore pour sa part que l’approche de l’espérance de vie par catégorie socio- professionnelle ait été négligée depuis des années, alors que les conditions de travail ou l’accès aux soins sont déterminants pour évaluer combien de temps un travailleur pourra profiter de sa retraite.

« Les réformes sont toujours présentées comme incontournables, parce qu’elles seraient dictées par le vieillissement de la population, par une situation financière difficile. Pourtant, les études de nombreux organismes, y compris celles sur lesquelles s’appuie le Conseil d’orientation des retraites, n’obligent pas à faire peser sur les cotisants le déséquilibre passager à venir de notre système. Sauf à se plier à un scénario imposant la limitation des dépenses. Y compris si les réformes qui se préparent assurent des provisionnements bien supérieurs à ce qui permettrait le maintien des équilibres, et tout en incitant au développement des retraites par capitalisation. »

Les statistiques indiquent aussi que les Pib vont continuer de croître beaucoup plus vite que l’argent reversé aux retraites, et que les actifs, même moins nombreux en proportion, seront beaucoup plus productifs. « Pour les décideurs, le capital doit générer plus de profits et capter plus de richesses sur les cotisations sociales, même sans développer l’emploi, notamment par le développement de nouveaux produits financiers. » Mettre en avant d’autres récits et d’autres priorités : une urgence.

Valérie Géraud

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