Fonction publique : secousses au Quai d’Orsay après la suppression du corps diplomatique

Avec un collectif de jeunes diplomates, l’intersyndicale appelait à  la grève, le 2 juin, pour exiger notamment la convocation d’assises des métiers du Quai d’Orsay.

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Le 2 juin 2022, le Quai d’Orsay connaissait la 2e grève d’ampleur depuis presque vingt ans. DR
Avec un collectif de jeunes diplomates, l’intersyndicale appelait à  la grève, le 2 juin, pour exiger notamment la convocation d’assises des métiers du Quai d’Orsay.

Il a beaucoup été écrit que le mouvement était «â€‰inédit  » et, pour une fois, le qualificatif n’est pas galvaudé. Deuxième grève d’ampleur en presque vingt ans, l’originalité du mouvement tient surtout à  sa construction : initié par un collectif de jeunes diplomates titulaires, il a d’abord opéré un rapprochement avec les contractuels, avant de converger avec une large intersyndicale (Cgt, Cftc, Unsa, Solidaires, Fsu et plusieurs syndicats «â€‰maison  »). Partie du refus de la suppression du corps des diplomates au motif de la réforme de la Haute Fonction publique, la contestation s’est ensuite élargie pour dénoncer  «â€‰la disparition des métiers, de la diplomatie, du consulaire, de la coopération et de l’action culturelle  ».

800 cadres concernés sur 1 800

En ce jeudi 2 juin, sur l’esplanade des Invalides à  Paris, les jeunes du collectif sont fortement représentés. Dans une tribune au Monde du 25 mai 2022, ils ont expliqué que leur appel à  la grève était  «â€‰l’expression d’une colère face à  la suppression brutale du corps diplomatique  », actée par décret en avril. Cette suppression aura pour conséquence  «â€‰la destruction des carrières, une perte de l’expertise et une crise des vocations  ».

Ils étaient 40, puis 500, aujourd’hui plus de 600… l’écrasante majorité de ceux concernés par la réforme (800) sur un total de 1 800 cadres de catégorie A. Poussés désormais à  rejoindre un nouvel ensemble interministériel, ils ont, le plus souvent, fait l’Ena ou ont été recrutés par le biais du concours d’Orient, très sélectif. L’un deux, dix ans de Quai d’Orsay, témoigne : «â€‰Nous ne sommes pas interchangeables. Nous avons une formation, un métier, une expérience, un savoir-faire. Nous ne sommes pas seuls en jeu. Ce qui est posé, c’est un risque de disparition de la diplomatie professionnelle et de la place de la France dans le monde.  »

Tous parlent d’une «â€‰maison  » qui a «â€‰soif de discussions  »… et de solutions à  un malaise multiforme. Diplômé de Sciences Po, un jeune contractuel, quatre ans de Quai d’Orsay, explique pourquoi il fait grève avec les jeunes diplomates titulaires : Cdd, Cdi, vacataires, agents de droit local… «â€‰Nous faisons tous le même métier  », insiste-t-il. 

La réforme n’apparaît pas comme une simple  «â€‰goutte d’eau  » : elle  «â€‰est un seau d’eau déversé sur un vase déjà  bien plein  », note un syndicaliste. Ce vase bien plein, c’est le résultat d’une réduction continue des moyens et des effectifs dans tous les secteurs et toutes les catégories de personnel : – 30 % en dix ans. L’intersyndicale, qui devait être reçue le 7 juin par la ministre, affirme que  «â€‰cela pèse toujours davantage sur les épaules des agents, chez lesquels les manifestations d’épuisement et de harcèlement s’accumulent  ».

Les conditions de travail se dégradent dangereusement sans qu’à  aucun moment un bilan sérieux des réformes successives et plans d’économies mis en Å“uvre soit réalisé : leur remise à  plat, dont celle de la Haute Fonction publique, est la première revendication des grévistes.

«â€‰Pour la communauté française installée à  l’étranger, nous sommes encore un ministère qui assure un service public de qualité, en faisant simultanément le travail d’une préfecture et d’une mairie, explique Alain Maestroni, secrétaire général de la Cgt-Mae (ministère des Affaires étrangères). Or, dans un monde de plus en plus sous tension, les agents sont pris en tenaille entre la nécessité de répondre à  des besoins croissants et des moyens, qui ne suivent pas.  »

Avec le collectif, l’intersyndicale demande la convocation d’assises des métiers du Quai d’Orsay pour parler moyens, effectifs, statut, sur fond d’externalisations dans tous les domaines et de réformes qui se sont succédé depuis la Révision générale des politiques publiques (Rgpp). Au fond, la question posée est : «â€‰Que veut-on faire de notre diplomatie ?  », interroge Alain Maestroni. 

Ce n’est pas seulement la « manière  » qui provoque la colère, mais aussi le « moment  », avec en particulier le retour de la guerre en Europe. Depuis 2020 d’ailleurs, les agents du ministère ne rechignent pas à  la tâche, la pandémie de Covid-19 les ayant conduits à  gérer le rapatriement de plus de 300 000 Français en quelques mois. Certains fonctionnaires, en poste à  l’étranger, ont pu se retrouver dans un isolement strict, séparés de leur famille. Si le Quai d’Orsay a tenu, c’est surtout grâce au dévouement de ses agents : ils en sont fiers. En actant l’ « extinction  » du corps, la France serait le seul pays de l’Ocde à  faire ce type de réforme :  « Nos concurrents, dit un jeune diplomate, se frottent les mains.  »

Christine Labbe et Lennie Nicollet