La semaine de quatre jours plutôt que la semaine des 32 heures ?

Une semaine de quatre jours sans perte de salaire. Mieux : trente-deux heures payées trente-cinq avec la garantie d’embauches supplémentaires pour […]

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Les salariés européens se déclarent favorables à  la semaine de quatre jours. ©Téo Lannié/AltoPress/Maxppp

Bien plus qu’un problème arithmétique, le mode de décompte du temps de travail profile une certaine conception du travail et de sa rémunération. Explications, enjeux et conseils venus d’Europe.

Une semaine de quatre jours sans perte de salaire. Mieux : trente-deux heures payées trente-cinq avec la garantie d’embauches supplémentaires pour éviter toute surcharge de travail… Ça se passe en ce moment à Valence, ville espagnole qui, pour garantir la pérennité de son projet, a négocié l’automne dernier un accord avec les acteurs politiques et syndicaux présent sur son territoire. Concrètement, ce texte assure aux employeurs une compensation complète du coût de la réduction du temps de travail la première année ; à hauteur de 50 % la seconde et de 25 % la troisième…

La France n’est pas épargnée

Bien sûr, la mesure n’a pas force de loi. Elle est parcellaire et n’a aucune dimension collective. Mais, alors que l’organisation hebdomadaire du travail sur quatre jours a les honneurs de la presse, l’actualité en recèle peu de bonnes nouvelles comme celle-là. Les expériences dont il est question sont d’une toute autre nature. Elles ne suivent pas la voie choisie par la Communauté catalane, mais plutôt les préceptes fixés dans le projet de loi déposé par le gouvernement belge, ou l’expérience lancée par le patronat des cafés-hôtels-restaurants britanniques, le « 4 Day Week Global ». Dans les deux cas, la suppression d’un jour de travail est à l’ordre du jour, mais sans aucune réduction du temps de travail et encore moins d’embauches en proportion.

En France, les travers sont les mêmes. Chez Ldlc, leader français de la vente informatique, le passage à la semaine de quatre jours s’est fait sans réduction de salaire et avec comme repère les trente-deux heures hebdomadaires, mais aucune embauche n’a été réalisée. L’employeur défend sa position en invoquant la hausse de la productivité qu’apporte une journée de repos supplémentaire…

« L’apparence » et « la couleur »

Il était un temps où les employeurs refusaient d’envisager toute réduction du temps de travail. Désormais, ils en usent sans jamais concéder ce que ce combat signifie : d’abord, une diminution des horaires susceptible de permettre à tous de travailler tous et mieux, ensuite une meilleure répartition de la richesse créée. Leur objectif est clair : user de cette aspiration pour convaincre les salariés, les plus jeunes notamment, de se laisser recruter, voire abaisser leurs coûts fixes en réduisant les mètres carrés de bureaux, le nombre de salariés en poste le même jour étant amené à baisser.

Que l’on ne s’y trompe pas. Dans l’Europe syndicale, le sujet fait débat. Sans rien lâcher de la revendication des trente-deux heures, certaines organisations sont tentées d’accepter la proposition si la rémunération demeure. Reste que, à l’annonce du projet de loi, la réaction de la Fédération générale du travail de Belgique (Fgtb), elle, a été sans appel. La semaine de quatre jours a « l’apparence » et « la couleur » d’une réduction collective du temps de travail, mais elle n’est « rien de tout ça. Au lieu de dégager du temps libre en réduisant et en partageant collectivement le temps de travail, au lieu de permettre de créer de l’emploi, c’est une compression du temps de travail que le gouvernement fédéral tente d’instaurer », a-t-elle déclaré très fermement…

L’heure supplante le jour

Patrick Correa, conseiller fédéral à la Cgt-Métallurgie, fait peu ou prou la même analyse : « la semaine de quatre jours telle qu’elle est proposée est une supercherie ». Si l’intention était de réduire le temps de travail, la méthode proposée devrait être de « passer aux trente-deux heures », assure-t-il. « Or, il n’en est rien. Ce modèle ne laisse aux salariés qu’un seul garde-fou : l’obligation faite en Europe d’un repos de onze heures entre deux jours de travail. Peut-on dès lors parler d’un progrès ? »

Il était un temps où le décompte puis la limitation du temps de travail constituaient la revendication centrale du mouvement ouvrier, écrivait il y a peu l’économiste Philippe Askenazy dans une de ses chroniques dans Le Monde. Un temps où « l’heure était consacrée comme l’unité élémentaire du travail », celle à partir de laquelle était fondé le salaire et tous les indicateurs économiques qui lui étaient liés : le décompte de la productivité horaire ou le coût du travail.

Du passé. Désormais, l’heure est en passe d’être « supplantée par le jour ». Et, jusque-là, sondage après sondage, toutes les enquêtes démontrent que les salariés sont sensibles à la proposition qui leur est faite. En 2019, une étude réalisée par le cabinet ADP auprès de plus de 10 000 salariés européens assurait que 63 % des salariés espagnols, 61 % des britanniques et 60 % des français se déclaraient favorables à la semaine de quatre jours. Une autre, réalisée il y a peu par le même cabinet, assure que 64 % des Français souhaiteraient aujourd’hui avoir la possibilité de concentrer leurs horaires de travail sur quatre jours.

Le syndicalisme européen sur la brèche

Mais jusqu’à quand ? Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres, ingénieure informatique chez Accenture et militante Cgt rapporte que, dans son entreprise, parmi les 281 salariés éligibles à la semaine des quatre jours, 169 se sont portés volontaires et 80 se sont réellement pliés à cette nouvelle organisation du travail. Incontestablement, les salariés saturent. L’avènement en France du forfait jours, comme l’accroissement spectaculaire partout ailleurs des heures supplémentaires, a brouillé les pistes. « Beaucoup de salariés nous rapportent considérer l’obtention d’un jour de congés comme la manière de pouvoir espérer la récupération des trop nombreuses heures supplémentaires réalisées », rapporte Jean-François Libotte, permanent de la Cne-Csc flamande et chargé d’études et des formations.

Le 29 juin, à l’invitation de la Confédération européenne des syndicats (Ces), des syndicalistes venus de toute l’Europe se sont réunis à Paris pour échanger sur la stratégie possible face à un tel bouleversement. Quelques heures avant la rencontre, Isabelle Schoemann, secrétaire confédérale de la Ces chargée du suivi de la directive européenne sur le temps de travail, reconnaissait volontiers la complexité du dossier. « Comment le syndicalisme européen peut-il reprendre la main sur la question horaire après des décennies au cours desquelles les salariés ont constaté que la flexisécurité ne tenait pas ses promesses ? Autrement dit, que veut-on négocier ? Que négocie-t-on quand on parle du temps de travail ? Voilà les questions que nous devons nous poser. »

Pistes syndicales pour bien négocier

Sans apporter de réponses définitives, les enseignements tirés par Jean-François Libotte de ses échanges auprès des salariés déjà passés à la semaine de quatre jours apportent déjà trois réponses. Primo, ne rien lâcher sur l’emploi, en exigeant le contrôle de la charge de travail, des embauches supplémentaires et « l’interdiction de la réalisation d’heures supplémentaires le cinquième jour ». Secundo, ne rien abandonner des garanties collectives, en maintenant des avantages acquis comme le nombre de tickets restaurant « qui doit rester lié aux heures de travail et non aux jours ». Tertio, en n’oubliant pas que le droit à une réduction du nombre de jours travaillés doit être ouvert aux salariés à temps partiel. « C’est là, dit-il, la condition sine qua non pour que la semaine de quatre jours ne soit pas genrée. Pour conjuguer vie professionnelle et vie personnelle, la réduction du nombre de jours travaillés ne peut se faire au détriment de la bataille pour l’égalité hommes-femmes. »

Martine Hassoun