Petite enfance : le plus, sans le mieux

Plein la couche ! Les professionnels de la petite enfance veulent que leur aspiration à mieux travailler et leur engagement professionnel […]

Luc Nobout / IP3; Paris, France le 02 mars 2019 – A là•occasion de la Journee mondiale de sensibilisation a là•autisme, Adrien TAQUET, secretaire dà•Etat aupres de la ministre des Solidarites et de la Sante, charge de la protection de là•enfance, visite la creche multi accueil Ernest May a Paris – On the occasion of World Autism Awareness Day Adrien TAQUET, Secretary of State for the Minister of Solidarities and Health, in charge of child protection, visit the multi-day nursery Ernest May in Paris – FRANCE ONLY (MaxPPP TagID: maxnewsfrfour218682.jpg) [Photo via MaxPPP]
La réforme visant à développer les modes d’accueil des moins de 3 ans se traduira-t-elle par une dégradation des conditions de travail et de la qualité de l’accueil ? Mobilisés, les professionnels veillent.

Plein la couche ! Les professionnels de la petite enfance veulent que leur aspiration à mieux travailler et leur engagement professionnel soient reconnus. Assistantes maternelles, éducateurs et éducatrices de jeunes enfants, infirmières puéricultrices, auxiliaires de puériculture, psychomotriciens, psychologues, épaulés par les familles, par leurs syndicats (Cgt, Cftc, Unsa, Ucp, Fsu) et par leurs associations, tous se sont mobilisés ce printemps, autour de grèves et de manifestations nationales (les 28 mars et 23 mai), de lettres ouvertes aux autorités de tutelles, de pétitions. Porteurs de propositions, les professionnels du secteur veulent peser sur la réforme en cours, qui doit permettre d’accueillir davantage d’enfants dans les dispositifs actuels ou futurs : pas question que ce soit au prix d’une dégradation des conditions de travail et d’accueil.

Risque persistant de surbooking et d’entassement

L’année a commencé par un mouvement des responsables des crèches parisiennes (lire encadré), la mobilisation se généralisant à toutes les catégories et à tous les territoires, alors que la présentation de la réforme se faisait attendre. Elle doit être introduite par ordonnance avant la fin de l’année, complétant l’article 50 de la loi Essoc (pour un « État au service d’une société de confiance »…) votée au printemps 2018. Le projet promet « un cadre plus simple pour une offre d’accueil plus riche » et des « travaux de simplification du cadre normatif applicable aux modes d’accueil du jeune enfant ». Présenté tardivement (le 17 mai) aux acteurs du secteur, il a fait l’objet de consultations jusqu’à la mi-juillet, sans qu’on sache si des modifications permettront de corriger les mesures qui ne font pas consensus.

Pas de problème sur le principe : accueillir davantage de jeunes enfants dans des structures collectives de qualité, c’est répondre à une demande sociale et à des enjeux importants. En termes de santé publique et de suivi du développement des tout-petits dès leurs premiers mois de vie, quelle que soit leur origine sociale. En termes d’intégration et de solidarité, pour les enfants comme pour les familles de l’ensemble du corps social. Rappelons que le développement des modes de garde des jeunes enfants a permis aux femmes d’accéder au monde du travail en plus grand nombre, de s’émanciper et de vivre en toute autonomie.

Accueil d’enfants en surnombre

Les professionnels semblent aussi avoir été entendus sur le besoin de référents nationaux mettant en cohérence des structures et dispositifs très variés. Chacun devra à l’avenir s’adresser à un guichet territorial unique rassemblant Caf, Pmi et communes, et mettre en forme un « projet d’accueil » clarifiant ses objectifs et moyens, qui devront être conformes à une « charte nationale » garantissant les conditions dans lesquelles les enfants sont accueillis. « Des dizaines de milliers de familles ne disposent pas de solution de garde, cela devrait surtout permettre la création de nouvelles structures privées lucratives ou pas, qui se développent déjà dans les petites communes, souvent grâce à des financements publics, bien qu’elles contribuent beaucoup moins à la mixité sociale… et qui font pression pour un assouplissement des normes », estime Birgit Hilpert, éducatrice de jeunes enfants, administratrice Cgt à la Caisse nationale d’allocations familiale et porte-parole du collectif Pas de bébés à la consigne, dont la Cgt est membre.

Faute de financements supplémentaires, les structures publiques existantes devront pour leur part optimiser l’accueil. Ainsi, la Cgt, avec d’autres, s’alarme de voir modifié le nombre maximum d’enfants confiés à chaque professionnel. Le taux d’encadrement actuel est de 1 professionnel pour 5 enfants de moins de 18 mois, et de 1 pour 8 après. La nouvelle norme pourrait bien être de 1 pour 6 sans distinction d’âge, au détriment des plus jeunes. Certains professionnels qualifiés (les éducateurs par exemple) pourraient également être moins nombreux : 1 pour 16 serait souhaitable… Or on en est loin.

Dans le même esprit, l’accueil d’enfants en surnombre (jusqu’à 20 % au-dessus de la norme) qui, jusqu’à présent, était dérogatoire et exceptionnel, pourrait devenir quotidien, sous prétexte que tous les enfants ne viennent pas tous les jours. L’espace réglementaire devrait quant à lui passer de 7 m2 à 5,5 m2 par enfant. Dans certaines communes, de petits arrangements avec les calculs de surfaces – la prise en compte de balcons par exemple, a déjà permis d’augmenter le nombre de places sans construire de nouvelles structures.

Flou sur les qualifications requises et la formation

Les microcrèches, qui rassemblent ponctuellement plusieurs assistantes maternelles et les enfants sous leur responsabilité, devraient quant à elles être autorisées à accueillir jusqu’à 16 enfants sans être soumises aux mêmes normes de qualité d’accueil. « On est dans la même logique que celle du décret Morano de 2010, qui a abaissé les normes d’encadrement et le ratio de professionnels les plus diplômés à une proportion de 40-60. Les professionnels défendent l’idée d’un retour minimal à 50-50, ce qui impose un plan de formation initiale et continue ambitieux pour tous les personnels, et une reconnaissance des qualifications et des expériences acquises. »

Mais le chantier « formation » est pour l’heure à l’arrêt, aussi flou que celui de l’amélioration de l’accueil : pas prioritaire. « On nous concède, a minima, quelques heures de “temps d’analyse des pratiques professionnelles”, un dispositif qui restera expérimental et où les équipes disposeraient de 4 à 6 heures par an pour se réunir et mener une réflexion collective sur leur travail ! » Les professionnels ont, à juste titre, le sentiment qu’on ne leur demande pas d’exercer leur métier, à l’écoute des enfants et de leur famille, mais de « changer des couches » en plus grand nombre, pour reprendre les propos d’un précédent ministre. Alertez les bébés et leurs parents, le malaise risque de durer…

Valérie Géraud