Syndicalisme, librairies parisiennes : chapitre II

Le mois dernier, le Syndicat des libraires d’Île-de-France (Sli), affilié à la Cgt, a entamé sa deuxième année d’existence comme […]

©PHOTOPQR/VOIX DU NORD ; MaxPPP
Ils sont jeunes, qualifiés, travaillent dans de toutes petites entreprises et représentent des salariés dont la passion ne suffit plus à faire accepter les mauvaises conditions de travail. Ils viennent de créer le Syndicat des libraires d’Île-de-France.

Le mois dernier, le Syndicat des libraires d’Île-de-France (Sli), affilié à la Cgt, a entamé sa deuxième année d’existence comme il l’avait commencé : en organisant une réunion d’information syndicale ouverte à tous les salariés du secteur. Une rencontre désormais mensuelle, destinée à renforcer les liens pour aider tout un chacun à mieux défendre ses droits. Une organisation de ce type, à la fois territoriale et de métier, la Cgt du commerce parisien n’en a jamais compté. « C’est la première. Jusque-là, les salariés du secteur qui ne disposaient pas de syndicat d’entreprise ne pouvaient se syndiquer que de façon individuelle, témoigne Rémy Frey, secrétaire du syndicat Cgt de Gibert Joseph, à Paris, qui a accompagné la naissance du Sli. L’extrême majorité ne le faisait pas. D’autant moins qu’ils pensaient que le syndicat patronal pouvait les aider à se repérer dans les dédales du droit du travail. » Du passé.

En usant de ses réseaux professionnels

Le 28 octobre, dans les locaux de l’union locale Cgt de Paris 5e-6e, le Sli a, une fois encore, démontré que le syndicalisme défendait tous les salariés. Ce soir-là, ils étaient à nouveau une bonne vingtaine pour échanger et partager, parmi lesquels quelques apprentis et beaucoup de non-syndiqués, témoigne Perrine Ablain, responsable de rayon au Genre urbain et responsable de la vie syndicale du Sli. L’ordre du jour était ambitieux : présentation du syndicat, point sur les négociations en cours dans la branche et sur la journée d’action du 5 décembre. « Nous avions aussi convié à cette réunion une avocate en droit social pour qu’elle nous informe sur le cadre juridique lié au travail du dimanche et en soirée, au temps de pause et au calcul du temps de travail annualisé ou encore à la rémunération des heures supplémentaires », poursuit la toute jeune militante… L’intérêt a été tel que la réunion a duré bien au-delà de 22 heures, comme prévu initialement.

Combien des salariés présents ce soir-là rejoindront le syndicat ? À ce jour, le Sli compte une quinzaine d’adhérents, c’est-à-dire cinq fois plus que les trois libraires salariés qui, il y a un an, ont décidé de créer la structure après avoir été sollicités « par une collègue qui était victime de harcèlement », raconte Perrine Ablain. Comme à ses débuts, l’organisation use des réseaux professionnels ou Internet pour se faire connaître ; certains commerciaux des maisons d’édition se joignent à l’effort en mettant à profit chacune de leurs visites dans les librairies pour faire connaître l’existence de ce nouveau venu à la Cgt. D’élus ou de résultats électoraux, le Sli n’en dispose pas pour asseoir sa position. Comment pourrait-il en être autrement alors que la majorité des entreprises où il est présent ne comptabilise, au mieux, qu’une toute petite dizaine de salariés ? Depuis quelques mois néanmoins, un délégué du Sli fait partie de la délégation aux négociations sur la révision de la convention collective de la branche. Une responsabilité importante, qui donne une visibilité à un secteur dans lequel la Cgt, jusqu’alors, n’avait pas de représentants, témoigne Rémy Frey. Mais une tâche à laquelle le Sli ne veut pas s’arrêter…

Huit années d’expérience et 1 500 euros net par mois…

Si ses animateurs savent que leur tâche est rude tant travailler en librairie reste une chance pour les jeunes diplômés qui s’y pressent, s’ils savent que l’action syndicale est d’autant plus difficile à assumer dans leur domaine d’activité que les relations entre les employeurs et les salariés sont souvent guidées par la passion partagée du métier et du livre, ils vivent eux-mêmes le ras-le-bol de toute une profession, qui pousse l’extrême majorité à se reconvertir au bout de quelques années. Être sommé de choisir entre partir ou exercer un métier qui ne promet pour toute reconnaissance qu’une rémunération à peine supérieure au Smic n’a qu’un temps. « La passion ne peut servir de solde de tout compte », affirme Louise Cohadon, secrétaire du Sli, libraire à Point de côté, à Suresnes. « Pour bien faire mon travail, pour être capable de conseiller et de gérer mon rayon, je dois lire au moins 6 livres et 15 bandes dessinées par mois. Je le fais le soir sans que jamais ce travail me soit payé », poursuit-elle. Huit années d’expérience et 1 500 euros net par mois : « Est-ce ça, le paiement de la qualification du métier de libraire ? » Avant Noël, le Sli organisera une nouvelle réunion axée sur la législation sur le travail du dimanche et le paiement des heures supplémentaires. Les ventes de fin d’année battront alors leur plein… Suggestion est faite aussi, cette fois, d’inviter un économiste de l’édition pour envisager la manière de trouver d’autres marges de manœuvre que salariales à la pérennité du secteur.

Martine HASSOUN

Chiffres

Qu’il s’agisse de l’édition, de la diffusion, de la distribution, du commerce de détail ou des bibliothèques, le secteur du livre totalise plus de 80 000 emplois, soit un peu moins de 0,4 % de la population active mais près de 20 % de l’ensemble des emplois du secteur culturel. Selon l’Observatoire francilien du livre et de l’écrit, les jeunes diplômés sont fortement représentés dans le secteur de la librairie francilienne : 28 % ont moins de 30 ans et 48 % d’entre eux disposent au moins d’un bac + 2, mais 7 % seulement des effectifs sont cadres.